Vingt-cinq
années de T.S.F
de 1918 à 1935
(texte datant du
vingt-cinq mars 1935)
Dès
la fin de la guerre, l'information directe, rapide et sûre, apparut à toutes
les nations comme l'un des facteurs essentiels de leur vie économique,
de leur rayonnement intellectuel et de leur sécurité.
La nécessité de multiplier et de
perfectionner les moyens de communiquer à distance s'imposa dès
la reprise des échanges de toutes sortes, qui prit rapidement d'autant
plus d'ampleur que le déséquilibre matériel et moral créé par
la guerre avait été plus profond.
La télégraphie par les câbles
sous-marins assurait avant la guerre la presque totalité des relations
rapides à travers les océans. L'Angleterre et les États-Unis
possédaient chacune environ 40 p. 100 de ces câbles, alors que la
longueur des câbles français atteignait à peine 8 p. 100.
La France se trouvait donc en état d'infériorité, on devrait
dire de servitude, vis-à-vis de l'étranger, non seulement pour
ses communications avec les autres pays, mais aussi pour ses liaisons avec plusieurs
de ses propres colonies et notamment l'Indochine.
Par ailleurs, on devait reconnaître très
vite que le réseau mondial des câbles était loin de suffire
aux besoins. Dès 1920, les câbles, surchargés de trafic,
ne parvenaient plus à l'écouler. La situation des réseaux
de lignes terrestres n'était pas meilleure. Aussi les délais de
transmission des messages étaient-ils excessifs. Chaque jour des milliers
de télégrammes restaient en souffrance. La reprise des relations
internationales et, notamment de l'activité économique, risquait
d'être entravée du fait de l'insuffisance des communications télégraphiques.
Les nations qui possédaient les réseaux
de câbles les plus étendus s'organisaient aussitôt pour faire
face à cette situation et pour conserver leur quasi-monopole de fait.
L'Angleterre et les États-Unis demandaient à la télégraphie
sans fil, dont la guerre avait fait ressortir les prodigieuses possibilités,
d'apporter un remède efficace" à une situation dont la gravité s'accroissait
de jour en jour. Les industriels radio-électriques de ces deux pays entreprenaient
un effort technique considérable, et bientôt l'Angleterre et les États-Unis
pouvaient disposer de stations puissantes et ouvrir de nouveaux services radiotélégraphiques
internationaux.
Après avoir été assujettie
aux câbles étrangers, la France allait-elle être forcée
de s'en remettre, encore une fois, à l'industrie étrangère
du soin d'assurer ses communications ? Ou bien son industrie nationale allait-elle
lui donner le pouvoir de posséder, chez elle, des stations puissantes
lui permettant de communiquer directement avec les autres pays et avec ses propres
colonies ?
Les techniciens français n'avaient pas manqué d'étudier
les problèmes soulevés par la création de radiocommunications
rapides et sûres à grande distance.
Ceux qui avaient si bien donné la mesure
de leurs capacités d'invention et de réalisations pendant la guerre
pouvaient proposer dès 1919 des procédés et du matériel
complètement au point et dont les qualités éminentes devaient
se confirmer par la suite.
Les Arcs
Les Alternateurs de Haute Fréquence
En
l'état de la technique en 1919, on ne pouvait envisager, pour
les radiocommunications à grande distance, que les ondes longues
de l'ordre de plusieurs miliers de mètres.
Les ondes inférieures, et notamment les
ondes courtes, avaient, à vrai dire, été employées
dès les premières expériences de T.S.F. Les petits appareils
dont on disposait alors les produisaient naturellement. Mais, dès que
l'on voulut, afin d'augmenter les portées, accroître la puissance
des émetteurs, il fallut employer des ondes de plus en plus longues auxquelles
s'adaptaient beaucoup mieux les dispositifs qu'on possédait. Au surplus,
on avait constaté que les ondes courtes se comportaient de façon
très irrégulière et qu'elles étaient le siège
de phénomènes très particuliers dont on n'avait pas encore
pu dégager les lois et qui compromettaient la sécurité des
liaisons à grande distance.
La propagation des ondes longues était beaucoup
mieux connue et l'on savait qu'elle pouvait s'effectuer à peu près
régulièrement jour et nuit. Pour établir une bonne communication
permanente entre deux points, la difficulté consistait surtout à mettre
en jeu, avec un rendement acceptable, une puissance élevée.
Ainsi, les ingénieurs recherchaient la solution
du problème des radiocommunications à grande distance dans la réalisation
de postes émetteurs très puissants et à ondes très
longues.
On eut recours d'abord au principe de l'arc de
Poulsen. La Société Française Radio-Électrique en
avait, pour sa part, établi une bonne réalisation. Mais l'arc offrait
un grave inconvénient inhérent à sa nature même, celui
de produire des harmoniques très nombreux et très intenses. Le
rendement de ce procédé était donc médiocre; la puissance
mise en jeu n'était effectivement utilisée que pour une faible
part sur l'onde de travail, le reste étant gaspillé dans des radiations
secondaires qui, d'ailleurs, causaient des perturbations à d'autres liaisons.
Dès 1912, la Société allemande
Telefunken avait construit un ensemble comportant un alternateur et des transformateurs
de fréquence (selon le principe de l'ingénieur français
Maurice Joly) qui émettait des oscillations de haute fréquence
dans une antenne, il est vrai avec un médiocre rendement. Pourdissiper
l'énergie calorifique, les transformateurs devaient être refroidis
par des circulations d'eau.
En 1913, l'ingénieur allemand Rudolf Goldschmidt
avait réalisé, selon un principe dû à notre éminent
compatriote le professeur Boucherot, des alternateurs engendrant des courants
de haute fréquence. Mais ces machines, fort délicates, avaient
donné de graves mécomptes et, dès le commencement de l'année
1913, à la Société Française Radio-Électrique,
un projet d'alternateur plus simple avait été conçu.
La réalisation de ce projet soulevait alors
des difficultés mécaniques considérables : pour obtenir
directement des fréquences élevées, qui devaient atteindre
au moins 500 fois celles des alternateurs industriels, on était entraîné à l'adoption
de vitesses périphériques inusitées, de pas polaires très
faibles et d'entrefers extrêmement réduits.
Or une vitesse trop grande accroît les pertes
par frottement et provoque des efforts anormaux dans les parties tournantes,
donc des déformations élastiques importantes et des trépidations
dangereuses qui risquent de produire le décollement des enroulements.
Si l'entrefer est très petit, la précision de la construction doit être
extraordinaire pour que le rotor ne vienne pas au contact du stator.
Les efforts persévérants et conjugués
de la Société Française Radio-Électrique et de la
Société Alsacienne de Constructions Mécaniques de Belfort
ont résolu ce difficile problème avec un succès inégalé.
Malheureusement, la guerre étant venue interrompre ce genre de travaux,
ce n'est qu'en 1915 que la première machine (d'une puissance de 5 kilowatts)
fut réalisée et mise en service au poste de Lyon (La Doua).
Fin 1918 , un alternateur de 125 kilowatts était
installé à la station de Lyon (Il y tourne encore après
dix-sept ans de service. Ce n'est donc pas sans "humour" qu'on se reporte
aux rapports d'expertise qui prédisaient une vie courte et pénible,
cinq ans tout au plus, à notre alternateur, aujourd'hui vieux serviteur
lyonnais qui a contenté tous ses maîtres).
L'alternateur français à haute fréquence
et à grande puissance était créé, et ses qualités
dépassaient les espérances les plus optimistes (Les ingénieurs
qui ont spécialement contribué à ce grand succès
sont MM J. Bethenod et Marius Latour, à la Société Française
Radio-Électriques, MM. Roth, Belfils et Bilieux, à la Société Alsacienne
et Constructions Mécaniques. Le régulateur spécial a été l'œuvre
de M. Thury).
Son fonctionnement se révélait impeccable,
l'onde émise était très pure, tout à fait dépourvue
d'harmoniques et très stable.
Ce type d'alternateur a été construit
pour des puissances diverses, depuis 25 kilowatts jusqu'à 500 kilowatts,
et pour des longueurs d'ondes de 8 000 à 20 000 mètres. La vitesse
de rotation de ces machines, variant de 2 500 tours par minute pour l'alternateur
de 500 kilowatts à 6 000 tours par minute pour l'alternateur de 25 kilowatts, était
maintenue rigoureusement constance par un régulateur à action très
rapide, quelles que fussent les variations de charge auxquelles elles pouvaient être
soumises.
Tournant dans une atmosphère raréfiée
pour éviter les pertes par ventilation, énergiquement refroidi
par une circulation d'huile sous pression d'une réalisation très
ingénieuse, l'alternateur à haute fréquence offrait un rendement
très élevé : plus de 84 p. 100 pour la machine de 500 kilowatts.
Quand à la manœuvre de ces alternateurs,
elle était d'une simplicité extrême.
Dès que fut achevée la réalisation
définitive de l'alternateur à haute fréquence, la Société Française
Radio-Électrique se préoccupa d'ajouter aux remarquables qualités
de la machine elle-même, des procédés susceptibles d'en augmenter
la facilité et la souplesse d'exploitation.
A cette fin, fut étudié le système
du couplage électrique en parallèle grâce auquel les alternateurs
d'une station pouvaient débiter en parallèle sur l'antenne pour
augmenter ainsi, selon les nécessités du trafic, la puissance de
l'émission.
De même, le problème de la transmission "en
multiplex", pour permettre à plusieurs alternateurs à haute
fréquence d'une même station de transmettre simultanément,
sur le même réseau d'antennes, plusieurs télégrammes
différents sur des longueurs d'ondes différentes, en évitant
les réactions mutuelles de toutes ces émissions les unes sur les
autres, fut l'objet de recherches très poussées qui aboutirent à la
réalisation d'un dispositif supprimant, par un procédé de
compensation, les influences mutuelles électromagnétiques et électrostatiques
et permettant à chaque alternateur de transmettre indépendamment.
Grâce à ces deux dispositions, la
même station pouvait donc se comporter, suivant les nécessités
de son exploitation, ou bien comme une station unique de puissance égale à la
somme des puissances des alternateurs qu'elle possédait, ou bien comme
autant de stations différentes qu'elle comprenait d'alternateurs.
Il convient de rappeler encore une belle réalisation
des laboratoires de la Société Française Radio-Électrique
: le multiplicateur statique de fréquence. Nous avons vu plus haut que
les alternateurs à haute fréquence avaient été conçus
pour permettre l'utilisation de longueurs d'ondes comprises entre 8 000 et 20
000 mètres, favorables aux communications à grande distance. Cependant,
pour des portées réduites, il pouvait être, dans certains
cas, plus avantageux d'utiliser des ondes moins longues. Les multiplicateurs
de fréquence furent conçus pour cet objet. Cet appareils, fondés
sur la génération artificielle des harmoniques par des circuits
magnétiques constitués par des tôles d'un alliage spécial
au nickel, étaient intercalés entre l'alternateur et l'antenne.
L'alternateur débitait son courant de haute fréquence et le multiplicateur
doublait ou triplait automatiquement cette fréquence. L'émission
s'effectuait ainsi sur une longueur d'onde qui n'était que la moitié ou
le tiers de la longueur d'onde de l'alternateur.
La mise au point de ces multiplicateurs de fréquence
avait exigé des recherches longues et variées. Il était
indispensable en effet que l'action de cet organe intermédiaire n'apportât
pas une réduction de la puissance utile. Cette condition obligea les ingénieurs à de
nombreux travaux sur les alliages métalliques pour la composition des
tôles des circuits du multiplicateur. On parvint ainsi à réaliser
des doubleurs et des tripleurs de fréquence dont le rendement atteignait
90 p. 100. Toutefois pour les postes puissants, nous avons accordé la
préférence à la solution de l'alternateur débitant
directement à la fréquence finale.
Les
stations à ondes longues suivantes ont été équipées
avec les machines à haute fréquence de la Société Française
Radio-Électrique :
En France :
la station de Croix-d'Hins (près de Bordeaux) :
1 alternateur de 500 kilowatts.
la station de La Doua (près de Lyon) :
1 alternateur de 125 kilowatts.
le grand centre radio-électrique de Sainte-Assise :
4 alternateurs de 25 kilowatts pour le trafic européen
2 alternateurs de 500 kilowatts
2 alternateurs de 250 kilowatts pour le trafic
transocéanique.
Dans les colonies
françaises :
la station de Bamako :
2 alternateurs de 125 kilowatts.
la station d'Hanoï :
1 alternateurs de 25 kilowatts.
la grande station de Saïgon :
2 alternateurs de 500 kilowatts.
1 alternateurs de 200 kilowatts.
1 alternateurs de 25 lkilowatts.
la station de Tananarive :
2 alternateurs de 150 kilowatts.
En Europe :
Belgique :
la station de Ruysselde :
3 alternateurs de
250 kilowatts.
Italie :
la station de Coltanoe :
1 alternateurs de
500 kilowatts.
1 alternateur de
250 kilowatts.
1 alternateur de
25 kilowatts.
la station de Milan :
2 alternateurs de
25 kilowatts.
Roumanie :
la station de Bucarest :
2 alternateurs de
50 kilowatts.
Tchécoslovaquie :
la station de Podebrady, près de Prague
:
2 alternateurs de
50 kilowatts.
Turquie :
la station d'Istamboul :
2 alternateurs de
25 kilowatts.
Yougoslavie :
la station de Belgrade :
2 alternateurs de
25 kilowatts.
Hors d'Europe :
Brésil :
la station de Rio de Janeiro :
1 alternateur de
500 kilowatts.
Chine :
la station de Yunnan Fou :
1 alternateur de
25 kilowatts.
Japon :
la station de Funoboshi :
3 alternateurs de
250 kilowatts.
2 alternateurs de
50 kilowatts.
2 alternateurs de
25 kilowatts.
Syrie :
la station de Beyrouth :
2 alternateurs de
25 kilowatts.
Turquie :
la station d'Ankara :
1 alternateurs de
250 kilowatts.
Les émetteurs à lampes
Parallèlement à l'étude
des alternateurs, les ingénieurs de la Société Française
Radio-Électrique poursuivaient leurs recherches dans la voie
qu'avaient ouverte le professeur Fleming et Lee de Forest par leurs
travaux sur les valves.
A la suite des perfectionnements apportés
pendant la guerre aux lampes à trois électrodes, qui avaient révolutionné la
technique des récepteurs, on avait pu constater que ces lampes constituaient
d'excellents générateurs d'oscillations entretenues.
Ce fut le point de départ d'une technique
nouvelle dont les immenses perspectives se découvrirent peu à peu.
En fait, c'est l'utilisation des lampes à trois électrodes
comme générateurs d'ondes entretenues qui allait conduire en quelques
années à la radiodiffusion, à l'emploi des ondes courtes, à la
télévision, etc.
En 1919, la lampe n'apparaissait encore que comme
un organe permettant d'engendrer simplement et facilement des ondes aussi parfaitement
entretenues que celles produites par les alternateurs de haute fréquence,
mais avec une puissance relativement faible.
Pour des liaisons régulières, de
l'ordre d'un millier de kilomètres, on hésitait entre deux solutions
: ou bien construire de tout petits alternateurs, ou bien créer des lampes
beaucoup plus puissantes que celles dont on disposait.
On sait que la solution préférée
fut la seconde.
On savait fabriquer des triodes d'une puissance
utile de 500 watts, mais la réalisation d'une puissance supérieure
se heurtait à de graves difficultés.
En couplant plusieurs lampes en parallèle,
la Société Française Radio-Électrique réussissait, à la
fin de l'année 1920, à établir un émetteur d'une
puissance utile de 2 kilowatts et demi.
Installé dans les laboratoires de Levallois,
ce poste fonctionnant sur l'onde de 2 300 mètres communiquait avec la
station anglaise de Chelmsford, près de Londres, au début de janvier
1921, et procurait des résultats tout à fait remarquables : on
parvenait à réaliser une vitesse de manipulation de 160 mots à la
minute. Aussi, le 8 janvier 1921, l'Administration Française des P.T.T.
qui ne pouvait suffire au moyen des lignes et câbles à écouler
tout le trafic Paris-Londres avait recours à cet émetteur pour
assurer un service public radiotélégraphique avec la Grande-Bretagne.
Un modèle identique était installé au
centre de Sainte-Assise, au mois de mars de la même année. Les résultats
obtenus avec ce nouvel appareil confirmaient absolument les qualités du
prototype.
Perfectionnés chaque année,
au fur et à mesure que la technique des lampes réalisait des progrès,
les émetteurs à ondes entretenues de la Société Française
Radio-Électriques devaient affirmer leur succès, non seulement
pour les radiocommunications entre points fixes, mais aussi, comme nous le verrons
plus loin, pour les liaisons radio-électriques de la Marine et de l'Aéronautique.
Parmi les stations de grand trafic équipées
avec les émetteurs à lampes, à ondes moyennes, de la Société Française
Radio-Électrique, on peut citer :
le centre de Sainte-Assise, de la Compagnie Radio-France,
qui utilise ces appareils pour les liaisons avec Londres et Madrid,
la station italienne de Milan,
la station lithuanienne de Kaunas,
les stations turques d'Ankara et d'Istamboul,
la station chilienne de la Quinta Normal (Santiago
de Chili)
etc...
Les Antennes
L'utilisation
de très grandes longueurs d'onde et la mise en œuvre de
grosses puissances devaient conduire à développer considérablement
les antennes. En particulier, il était nécessaire d'augmenter
leur capacité pour éviter que les tensions ne puissent
dépasser la limite de 150 000 volts efficaces, au-dessus de
laquelle l'isolement devenait difficile et les pertes par effluves
trop importantes.
En second lieu, il y avait intérêt à dégager
ces antennes de tous les obstacles naturels (mouvements de terrain, végétation,
etc.) susceptibles de former écran et d'absorber une partie de l'énergie
rayonnée.
Pour ces principales raisons, on était conduit à réaliser
de véritables nappes de fils couvrant une grande superficie de terrain
et aussi élevées que possible.
Le problème qui se posait ainsi aux techniciens
présentait deux aspects.
L'un, d'ordre mécanique, comportait l'étude
des procédés et des dispositifs susceptibles de donner à un
tel ensemble un équilibre et une résistance à l'épreuve
des efforts dûs aux vents;
L'autre, d'ordre électrique, consistait
dans la recherche des moyens propres à assurer un excellent rendement à l'antenne
en réduisant au minimum les pertes de toute nature auxquelles un pareil
réseau aérien parcouru par des courants intenses était exposé.
Les Pylônes
La
nécessité de soutenir à des hauteurs de plus de
deux cents mètres des antennes formées de nappes horizontales
de fils et mesurant jusqu'à 3 kilomètres de long sur
plusieurs centaines de mètres de large, allait déterminer
la création d'une technique spéciale à cette sorte
de construction métalliques.
Dans ce domaine, on connaissait déjà le
cas très simples des lignes de transport d'énergie électrique.
Celles-ci sont soutenues par des pylônes de faible hauteur (généralement
30 mètres, quelquefois 50 mètres, rarement davantage).
Pour les grandes stations radio-électriques
on avait besoin de supports de 250 mètres de hauteur, capables de résister
normalement à des efforts de traction de l'ordre de 10 000 kilogrammes
(traction horizontale appliquée au sommet).
Les Américains avaient adopté un
système de tour métallique établi sur le même principe
que la Tour Eiffel. On construisait une poutre à treillis de forme pyramidale,
supportée généralement par trois ou quatre jambes, également à treillis.
L'ouvrage reposait sur des massifs en béton dans lesquels étaient
scellées les membrures inférieures. La résistance mécanique
d'un tel ensemble ne pouvait être obtenue qu'au prix d'un tonnage de fer
très élevé. Au reste, le montage était long et difficile.
Pour des tours de grande hauteur, par exemple celles qui furent construites à la
station de Croix-d'Hins par la Marine américaine, il fallait commencer
par édifier un pylône de montage. En outre, les travaux d'érection étaient
fort dangereux. Le montage des tours de Croix-d'Hins fut marqué par plusieurs
accidents mortels.
Aussi, la Société Française
Radio-Électrique avait-elle éliminé la solution du genre
Tour Eiffel en donnant, dès avant la guerre, sa préférence
aux pylônes haubanés.
Un tel pylône se compose d'une poutre à treillis,
généralement de section constante du sommet à la base. Cette
section est très faible eu égard à la hauteur. Par exemple,
les pylônes qui supportent l'antenne de Sainte-Assise ont une section carrée
de 2 mètres de côté pour une hauteur de 250 mètres.
Des haubans en câble d'acier sont fixés
d'une part aux membrunes, à différentes hauteurs, et d'autre part,
par l'intermédiaire de tendeurs réglables, à des massifs
de béton qui les ancrent au sol.
Ces haubans, constitués par des aciers à haute
résistance mécanique, dont la charge de rupture atteint 200 kilogrammes
par millimètre carré, ont un diamètre très faible,
ce qui contribue à réduire leur poids et leur prise au vent.
La base du pylône repose sur un massif en
béton auquel elle est fixée pour éviter le glissement.
On conçoit facilement que ce type de pylône,
grâce à sa section très réduite, à la finesse
de ses membrures et à ses haubans, ait déjà, sur les tours
encastrées dont nous avons parlé plus haut, le gros avantage d'économiser
un poids de fer considérable. Pour en donner une idée, une tour
de 250 mètres de Croix-d'Hins pèse 560 tonnes, tandis qu'un pylône
haubané de 250 mètres n'atteint pas 120 tonnes, charpente métallique
et haubans compris.
Par ailleurs, les pièces du pylône
haubané peuvent être usinées en série, tandis que
celles de la tour encastrée sont plus diverses, avec des assemblages plus
compliqués, donc d'une fabrication plus coûteuse.
On ne s'étonnera donc pas que le prix d'établissement
d'un pylône haubané, de 250 mètres, soit cinq fois moins
fort que celui d'une tour de Croix-d'Hins.
Quant au montage du pylône haubané,
il présente la même simplicité que celui des pièces
d'un "meccano".
Sans entrer dans des considérations qui
sortiraient du cadre de cet ouvrage, on peut remarquer qu'un support d'antenne
de T.S.F, est soumis à deux sortes d'efforts : un effort au sommet exercé par
la nappe de fils d'antenne et un effort sur les éléments du support
exercé par le vent. Pour les supports de grande hauteur, les efforts du
vent sont considérablement plus grands que l'effort dû à l'antenne
qui, dans bien des cas, peut être considéré comme négligeable
devant le premier. Cette remarque permet d'apprécier la supériorité mécanique
du pylône haubané sur une tour sans haubans. D'abord la prise au
vent du premier est très inférieure à celle de la seconde.
En outre, la tour, n'ayant comme appui que son scellement de base, sera l'objet
d'efforts dont le bras de levier ira en augmentant jusqu'à atteindre la
hauteur totale, tandis que la charge d'un pylône haubané maintenu
par ses cours de haubans en plusieurs points, de la base au sommet, restera toujours
très limité.
A ce jour, la Société Française
Radio-Électrique a installé plus de 250 pylônes représentant
une hauteur totale de 35 000 mètres. Certains d'entre eux, en service
depuis près de vingt ans, ont eu à supporter en France, aux colonies
et à l'étranger, tous les efforts statiques et dynamiques auxquels
de tels ouvrages peuvent être soumis (orages, tornades, surcharges de neige
ou de glace, etc.). Cette épreuve du temps vaut encore mieux que les démonstrations
techniques. Nous n'avions d'ailleurs pas manqué d'administrer celles-ci
en proposants ces travaux assez hardis, dont les projets ne furent pas toujours
approuvés d'emblée par les organismes de contrôle. En général,
ceux-ci estiment, d'ailleurs à juste titre, que leur responsabilité est
moins exposée quand on a recours à des dispositifs consacrées
par l'usage.
Avant de quitter la question des pylônes,
il convient d'ajouter que, l'avènement des ondes courtes dans le domaine
des radiocommunications, dont nous parlerons plus loin, ayant entraîné la
constitution d'antennes différentes de celles qui nous occupent ici, il
a fallu, dans la suite, créer des pylônes de types adéquats
aux nouveaux réseaux aériens.
La Société Française Radio-Électrique
a construit pour cet objet un pylône spécial dont la hauteur peut
atteindre jusqu'à 100 mètres et qui s'apparente au pylône
haubané, dont il a gardé tous les avantages.
Les Isolants.
Le
fait de disposer, dans l'antenne, d'une grande puissance à haute
fréquence ne suffit pas à assurer à l'émission
toute l'efficacité désirable. Il faut encore que cette énergie
soit effectivement rayonnée.
Les causes de déperditions d'énergie
dans une antenne sont diverses. En premier lieu, il y a l'effet Joule : dissipation
d'énergie sous forme de chaleur dans les fils d'antenne. On réduit
ces pertes en donnant aux conducteurs une section suffisante et en multipliant
le nombre de fils.
Les isolateurs peuvent être aussi, si l'on
n'y prend garde, le siège de pertes importantes par hystérésis
diélectrique et par effluves. Ces pertes ont pu être limitées,
d'une part, à la suite d'études sur les isolateurs et, d'autres
part, en utilisant des répartiteurs de potentiel. En outre l'on s'est
astreint à ne pas dépasser, dans l'antenne, des tensions de l'ordre
de 150 000 volts.
Enfin, les pylônes et leurs haubans contribuent
aussi à absorber de l'énergie par suite notamment des effets électrostatiques.
Ici, le problème était plus difficile, les isolateurs ayant à supporter
des efforts mécaniques considérables.
Les ingénieurs sont parvenus, néanmoins, à réaliser
des dispositifs isolants pouvant être intercalés dans les haubans
et dont la charge de rupture dépasse 250 tonnes.
La Société Française Radio-Électrique
a réussi également à isoler ses pylônes haubanés
en appuyant l'élément de base, par l'intermédiaire d'une
rotule, sur une pile de galettes isolantes reposant elles-mêmes sur le
massif de fondation. On peut voir les derniers modèles de pylônes
ainsi isolés à la station de radiodiffusion du Poste Parisien (pylônes
de 120 mètres) et à la station radiotélégraphique
de la Crau (pylônes de 250 mètres).
Les prises
de terre
Enfin,
il y a une autre cause de pertes qui réside dans la prise de
terre si l'on ne prend pas de précautions. Le sol qui s'étend
sous l'antenne et les végétations qui le recouvrent sont
de mauvais conducteurs ou, si l'on veut, de mauvais isolants. Il peut
donc y avoir dans ce milieu une forte dissipation d'énergie à la
fois par effet Joule, courants de Foucault et hystérésis
diélectrique.
Pour y remédier, on s'était contenté tout
d'abord d'enfouir dans le sol des plaques de cuivre ou de zinc. Mais la surface
de ces plaques, qui de pouvait dépasser quelques centaines de mètres
carrés en raison du prix de revient, était généralement
très inférieure à la superficie couverte par l'antenne.
Un grand grand nombre de lignes de force issues de l'antenne ne rencontraient
pas cette armature métallique. Les pertes restaient considérables.
On avait préconisé ensuite l'emploi
d'un réseau métallique placé entre l'antenne et le sol et
appelé contrepoids. Les premiers résultats avaient été médiocres,
la technique n'ayant pas eu, tout d'abord, sur le rôle exact de ces organes
une opinion bien assise. Après des études systématiques
on est parvenu à de bons résultats en donnant à ces écrans
une grande surface et une forte densité de fils. Mais ces contrepoids
ont l'inconvénient de coûter très cher, notamment en raison
de la nécessité de les isoler d'une façon parfaite. Leur
emploi doit donc se limiter aux cas où leur surface n'est pas très
grande. Mais, pour des antennes très développées, couvrant
une superficie de 50 à 100 hectares, un tel procédé n'est
pas recommandable.
On eut aussi l'idée d'améliorer la
prise de terre en enterrant sous l'antenne un réseau de fils de cuivre.
Dans les premières installations de ce genre, les fils étaient
peu nombreux et leur action n'était pas très efficace. On fut donc
amené à en augmenter la densité pour réaliser une
véritable armature métallique sous l'antenne. Mais cela coûte
cher tout en ne supprimant pas les pertes par courants de Foucault.
En raison des inconvénients de tous ces
procédés, la Société Française Radio-Électriques
entreprit de longs travaux sur la question et adopta un système de "terres
multiples" consistant dans un réseau de fils métalliques tel
que celui dont nous venons de parler, mais dont on amène directement au
poste les courants de terre qui y circulent par des conducteurs aériens,
qui relient ainsi différents points de la prise de terre à la station.
Ces canalisations aériennes offrent aux courants de haute fréquence
des chemins de moindre résistance que la terre, et les pertes en sont
considérablement réduites. Cette disposition, dont le principe
peut paraître simple, avait cependant nécessité des essais
de mise au point assez délicats pour déterminer la meilleure disposition
des terres multiples, la constitution des lignes, les conditions de leur équilibrage
par self-inductance et capacités. Ce procédé, mis en service,
pour la première fois à la station de Sainte-Assise, permettait
d'abaisser la résistance de l'antenne à 0,5 ohm , alors qu'en déconnectant
les lignes de terre cette résistance atteignait près de 2 ohms,
soit quatre fois plus.
La Réception
En
dépit de la puissance qu'on pouvait mettre en jeu dans les grandes
stations radio-électriques, l'intensité de leurs signaux
devenait très faible à une distance de plusieurs milliers
de kilomètres. Si l'on veut bien remarquer que l'antenne d'émission
d'un poste à ondes longues rayonne dans toutes les directions,
on comprend aisément que le correspondant ne recueille qu'une
très faible part de l'énergie dispersée.
On dispose, il est vrai, de la possibilité de
correspondre avec des stations réceptrices dans tous les azimuts.
A ce premier inconvénient, venait s'en ajouter
un second, celui des parasites atmosphériques. L'antenne d'un poste de
réception est exposée non seulement à recueillir les ondes
de la station d'émission, mais aussi à collecter toutes les oscillations électriques
qui lui parviennent de toutes les directions. En outre, les oscillations engendrées
par des phénomènes locaux d'électricité atmosphérique
peuvent se manifester, suivant la latitude et suivant la saison, avec une intensité excessivement
variable. On sait que, dans les pays tropicaux, les parasites sont extrêment
violents. On conçoit que, dans ces conditions, le signal déjà faible
d'une station d'émission éloignée puisse être couvert
par un parasite dont l'intensité est supérieure à la sienne
et que l'appareil récepteur amplifie dans les mêmes proportions.
Augmenter encore la puissance de l'émission,
afin d'avoir, aux très grandes distances, des signaux nettement plus forts
que les parasites locaux, il n'y fallait guère songer. Les énergies
mises en jeu étaient devenues relativement considérables. Les accroître
encore eût obligé à augmenter exagérément les
dimensions des antennes et eût conduit à dépasser la tension
de 150 000 volts, dont nous avons dit plus haut qu'elle était la limite
pratique pour un bon isolement. D'autre part, tout cela eût entraîné à des
frais inadmissibles.
Il fallait donc résoudre la difficulté du
côté de la réception en recherchant comment éteindre
le parasite, ou, au moins, en diminuer fortement l'intensité par rapport à celle
du signal.
Un premier procédé consistait à établir
l'antenne de réception de façon qu'elle pût être influencée
seulement par les oscillations électriques provenant de la direction du
correspondant. La question des antennes directives avait fait l'objet en France
et à l'étranger de nombreuses recherches, et l'on avait trouvé des
systèmes d'aériens répondant dans une certaine mesure à cette
condition (antennes Beverage, cadres rectangulaires, etc.). Ce procédé, étant
sans effet sur les parasites provenant soit de la direction de l'émetteur,
soit du zénith, ne pouvait constituer qu'un palliatif. Il était
donc nécessaire de s'attaquer à l'élimination des oscillations
atmosphériques dans le récepteur lui-même.
Avec la collaboration de M. Regnault de Bellescize,
la Société Française Radio-Électrique a réalisé un
ensemble de "réception sélective et antiparasite" comportant
un aérien unique formé par la combinaison de cadres et d'une antenne
et pouvant actionner simultanément plusieurs récepteurs. Cet ensemble,
permettant la réception automatique à grande vitesse jusqu'à 150
mots à la minute, mis en service pour la première fois à la
station de Villecresnes (de la Compagnie Radio-France), a équipé,
par la suite, un grand nombre de stations étrangères.
Les Ondes
Courtes.
Le problème
de l'émission.
Nous
avons vu que l'utilisation des ondes longues nécessite, pour
les radiocommunications à grande distance, la mise en jeu de
grosses puissances, dont une fraction seulement se propage vers le
correspondant.
Par ailleurs, le développement des radiocommunications
dans le monde entraînant la multiplication des stations d'émission,
il apparut bien vite que la gamme des ondes longues était beaucoup trop étroite.
Sous l'empire de cette nécessité,
les techniciens étaient amenés à envisager l'emploi des
ondes courtes et à reprendre les études sur ces ondes, qui avaient été à peu
près abandonnées, avant la guerre, à cause des difficultés
que soulevait leur utilisation et que la technique était alors impuissante à résoudre.
Mais, depuis cette époque, la radio-électricité avait
enrichi ses moyens d'un organe merveilleux qui devait permettre aux ingénieurs
de reprendre leurs travaux sur les ondes courtes avec plus de chances de succès.
Cet organe, la lampe à trois électrodes,
dont l'emploi venait d'être rendu possible peu avant la guerre, devait
connaître pendant et après la guerre des perfectionnements incessants.
Parmi les qualités étonnantes qu'elle
révélait, tant pour la génération des oscillations électriques
que pour leur réception, elle manifestait celle de pouvoir produite, avec
assez de facilité, les ondes très courtes.
C'est la raison pour laquelle de nombreux amateurs
purent s'exercer à réaliser des communications sur ondes courtes.
Grâce aux nouveaux dispositifs à lampes,
des résultats remarquables furent obtenus. Des portées considérables
furent atteintes avec des appareils rudimentaires et des puissances excessivement
faibles (quelques watts seulement).
Certains furent alors tentés de croire que
les radiocommunications sur ondes courtes étaient réalisées
et qu'on allait pouvoir tout de suite utiliser ces ondes commercialement, avec
des appareils très simples et peu coûteux.
En fait, les premières expériences
n'apportaient que des espoirs nouveaux, mais elles ne permettaient encore de
formuler aucune technique précise. Elle faisaient ressortir, au contraire,
les anomalies, les irrégularités de propagation de ces ondes telles
qu'on les avait déjà observées au début de la T.S.F.
et dont il fallait absolument s'affranchir dans des services publics.
Il était apparu que la propagation des ondes
courtes suivait des lois extrêmement complexes et qu'elle dépendait
de nombreuses variables, telles que la fréquence de l'onde, la forme de
l'antenne, la distance du récepteur à l'émetteur, la situation
géographique de l'émetteur, celle du récepteur, les conditions
d'éclairage solaire du trajet présumé de la transmission,
les circonstances atmosphériques, la saison, etc...
Ainsi, telle émission sur une onde déterminée
qui était reçue très fortement à des milliers de
kilomètres devenait inaudible brusquement, sans que rien n'eût varié à l'émetteur
ni au récepteur. La disparition des signaux pouvait aussi se produire
d'un jour à l'autre, à des heures différentes ou identiques.
Telle émission reçue à très
grande distance ne pouvait être entendue par des correspondants rapprochés.
Et, circonstance aggravante, à ce phénomène
de "disparition" des ondes suivant l'heure de la journée ou
de la nuit, on devait ajouter le phénomène de l'évanouissement
dit "fading", consistant dans de très grandes et rapides variations
de l'intensité des signaux, qui se produisait d'une façon continue,
mais avec une périodicité très variable.
En outre, de grosses difficultés se rencontraient
pour la réalisation des émetteurs à ondes courtes notamment
dans la construction des lampes et dans celle des circuits.
La capacité interne des triodes devenait
supérieure à celle des organes d'oscillation, de telle sorte que
des courants de haute fréquence très intenses traversaient les
organes des lampes en produisant des échauffements considérables.
Il y avait aussi les pertes diélectriques
dans les isolants, qui étaient énormes.
Enfin, de faibles écarts dans les caractéristiques
de l'antenne, par exemple sous l'effet du vent, des variations de température
dans les circuits, ou de tension dans les sources d'alimentation, des phénomènes
internes dans les lampes, entraînaient une grande instabilité de
la fréquence des ondes émises.
En face d'un problème d'une telle complexité,
il était apparu à la Société Française Radio-Électrique
que seule une expérimentation méthodique, entreprise sur une très
vaste échelle, avec des moyens techniques puissants, permettrait d'effectuer
des observations nombreuses et coordonnées, indispensables pour déterminer
et les possibilités d'utilisation pratique des ondes courtes et les meilleures
solutions pour leur emploi.
Aussi, après avoir effectué les premières études
au laboratoire, les services techniques de la Société Française
Radio-Électrique installaient en 1924 deux stations expérimentales,
l'une à Clichy, l'autre à Sainte-Assise, spécialement conçues
pour l'étude comparative de divers types d'antennes, de diverses formes
de rayonnement et de leur efficacité à toutes distances et aux
différentes heures du jour et de la nuit.
L'organisation de ces deux stations avait nécessité la
mise en œuvre d'un matériel fort important et la construction de
bâtiments spéciaux. Les aériens soumis à l'expérimentation
couvraient une surface de 20 hectares et comprenaient des antennes de tous modèles
: fils verticaux de 15 mètres à 130 mètres de long, alignements
d'antennes, nappes verticales en éventails, etc., qu'on modifiait sans
cesse selon les résultats obtenus.
Les émissions expérimentales étaient
effectuées nuit et jour. Elles comportaient des séries d'essais
exécutés selon des programmes méthodiques et des horaires
précis, arrêtés à l'avance, avec des postes de réception
installés en France et en Europe pour l'étude des phénomènes à petite
et moyenne distance, aux États-Unis, en Argentine, en Indochine, en Syrie
etc., pour l'étude des phénomènes à très grande
distance. Tous ces correspondants faisaient connaître télégraphiquement
les résultats de leurs observations.
Commencées avec des ondes de l'ordre de
200 mètres, les expériences se poursuivaient sur des ondes de plus
en plus courtes jusqu'à 10 mètres.
On reconnaissait bientôt que, tandis que
l'emploi d'ondes de 10 à 25 mètres favorisait la propagation diurne,
les communications nocturnes étaient plus satisfaisantes avec des ondes
de 30 à 60 mètres.
On constatait aussi qu'avec deux ou trois ondes
convenablement choisies, on pouvait franchir des distances considérables,
dépassant 10 000 kilomètres, à peu près à toutes
heures de jour et de nuit.
Contrairement à l'opinion trop sommaire
qui s'était répandue à la suite des résultats sensationnels
obtenus avec des énergies infimes et dans des circonstances très
favorables, par les premiers expérimentateurs, l'influence de la puissance
fut nettement mise en évidence par ces essais et l'on dut reconnaître
qu'il était indispensable, pour les radiocommunications à ondes
courtes, de mettre en jeu une puissance suffisante afin de remédier aux
variations d'amplitude provoquées par les phénomènes de
propagation.
Il apparut également qu'une condition essentielle
d'une bonne communication à ondes courtes était la rigoureuse stabilité de
l'onde émise, faute de quoi toute réception rapide devenait impossible.
Enfin les expériences devaient permettre
de dégager le rôle important des divers types d'antennes à rayonnement,
dirigé ou non, et de mettre en évidence la grande efficacité des
antennes multiples, à effet directif, fonctionnant comme réflecteur.
De tous ces résultats d'expérience,
la Société Française Radio-Électriques allait tirer
la juste formule de l'exploitation commerciale des ondes courtes : émetteurs
suffisamment puissants, d'une très grande stabilité, alimentant
des antennes dirigées
Il fallut passer à la réalisation.
Celle-ci devait soulever des difficultés multiples. En premier lieu, l'établissement
de puissants générateurs à ondes courtes posait le problème
de la construction de lampes et de circuits. Lorsqu'on met en jeu une énergie
de plusieurs kilowatts, la capacité des triodes atteint le même
ordre que celle des organes d'exploitation proprement dits et elle est souvent
même supérieure. Les triodes constituent des circuits oscillants
secondaires qui peuvent être traversés par des courants très
intenses, produisant des échauffements considérables dans leurs
différents éléments. En outre, les pertes diélectriques,
qui augmentent avec la fréquence, contribuent encore à l'échauffement
de certains organes, ce qui rend très difficile de souder l'ampoule de
verre aux armatures métalliques.
Il faut ajouter à cela l'influence, sur
le degré du vide de la lampe, du phénomène oscillatoire
extrêmement rapide des ondes courtes. On conçoit donc que la réalisation
de fortes lampes pour la génération des ondes courtes n'ait pu être
obtenue qu'après de longues et délicates recherches.
La question de la stabilité offrait aussi
de grosses difficultés. Les laboratoires de la Société Française
Radio-Électriques, en vue d'aboutir à une réalisation technique
aussi simple que possible, s'étaient d'abord proposé de constituer
les émetteurs à ondes courtes par une lampe puissante, montée
en auto-excitation. Cette solution permettait de changer la longueur d'onde aisément
et de choisir facilement, dans chaque cas, l'onde la mieux appropriée à la
liaison à desservir.
Afin d'assurer la stabilité de fréquence
d'un tel générateur, on avait réalisé un régulateur
de fréquence d'une conception tout à fait originale. Cet appareil,
fondé sur les phénomènes de saturation d'un circuit magnétique,
constitué avec des tôles spéciales, permettait de commander
l'émetteur à ondes courtes par un émetteur auxiliaire de
faible puissance et d'une stabilité rigoureuse, en maintenant fixe la
différence entre la fréquence de l'émetteur principal et
celle de l'émetteur auxiliaire. Cette régulation de fréquence,
qui ne mettait en jeu que des phénomènes électromagnétiques
s'opérait sans aucune inertie autre que celle des circuits. Ce régulateur
permettait en outre d'effectuer très simplement la manipulation à grande
vitesse.
Dès 1925, un type d'émetteur propre à l'exploitation
commerciale avait été réalisé par la Société Française
Radio-Électrique. Installé à la station de Sainte-Assise,
de la Compagnie Radio-France, il permettait d'obtenir immédiatement, avec
une puissance antenne de 6 à 8 kilowatts, sur des ondes de 25 à 40
mètres, des résultats extraordinaires pour l'époque.
Un trafic commercial régulier pouvait être établi
le 1er octobre 1925 avec Buenos-Aires (11 000 kilomètres) à une
vitesse dépassant 60 mots à la minute.
De même, une communication pouvait être
réalisée avec New-York à la vitesse de 120 et même
150 mots à la minute.
Les signaux de ce poste étaient reçus
au Japon (11 000 kilomètres), à Nouméa (16 700 kilomètres).
On ne saurait mieux préciser l'importance
du résultat technique auquel avaient atteint les laboratoires de la Société Française
Radio-Électrique qu'en citant la lettre adressée le 20 octobre
1925 par le chef du trafic d'une des plus grandes compagnies étrangères
:
La force des signaux de Sainte-Assise
ondes courtes est beaucoup plus grande que celle de n'importe quel autre transmetteur
européen à ondes courtes écouté par nous jusqu'ici.
En fait, c'est à présent la seule émission que montre des
promesses d'utilisation commerciale.
De même, le chef du centre d'écoute
de Buenos-Aires écrivait le 1er novembre 1925 :
J'ai fait avec Sainte-Assise ondes courtes
de l'enregistrement automatique à 60 mots à la minute. C'est la
première fois que je peux arriver à cette vitesse en ondes courtes
et j'en suis bien content. Jusqu'ici des variations combinées de fréquence
et d'intensité empêchaient l'inscription. Avec Sainte-Assise ondes
courtes, la réception est parfaite pendant des heures sans qu'aucune retouche
ou presque soit nécessaire.
Grâce à sa simplicité de construction, à sa
grande souplesse d'utilisation et à son efficacité en trafic, ce
type d'émetteur fut adopté pour l'équipement de nombreuses
stations à ondes courtes notamment à Sainte-Assise, Beyrouth, Santiogo-du-Chili,
Téhéran, Saïgon, Tomioka, Shanghaï, etc.
Toutefois, en dépit de toutes ses qualités,
cet émetteur qui avait été étudié seulement
en vue de la radiotélégraphie allait se révéler insuffisant
quand on voulut étendre le champ d'exploitation des ondes courtes à la
radiotéléphonie.
La modulation téléphonique sur un émetteur à autogénération
produit, en effet, des réactions qui se traduisent à grande distance
par une distorsion susceptible de rendre la parole inintelligible.
Cet inconvénients ont conduit à l'étude
d'un nouveau type d'émetteur à ondes courtes tout à fait
différent et dont la fréquence est engendrée et commandée
par un oscillateur de très faible puissance stabilisé par un cristal
de quartz piézo-électrique.
L'utilisation de ce procédé a, bien
entendu, entraîné des difficultés nouvelles et compliqué un
peu la réalisation technique de l'émetteur.
D'abord il est nécessaire que le cristal
de quartz soit maintenu à une température rigoureusement constante à quelques
dixièmes de degrés près, ce qui a été réalisé en
enfermant le quartz à l'intérieur d'une boite métallique
en acier, maintenue à température constance par un thermostat.
Ensuite, il a fallu prévoir des étages spécieux pour multiplier
la fréquence propre du quartz. On sait, en effet, que la longueur l'onde
d'un quartz est d'environ 120 mètres par millimètre d'épaisseur.
Il faut donc, pour obtenir des ondes de l'ordre de 10 à 50 mètres,
avec des quartz d'épaisseur pratiquement admissible, multiplier leur fréquence
propre.
Enfin, en raison de la puissance très faible
de ce générateur d'oscillations, il est indispensable d'amplifier
les courants de haute fréquence en prenant toutes les précautions
nécessaires pour ne pas introduire de causes d'instabilité.
Le nouvel émetteur réalisé par
la Société Française Radio-Électrique, qui a pris
place dans les stations radio-électriques modernes à grand trafic
commercial, a été établi pour des puissances antenne de
10 kilowatts à 25 kilowatts. Il permet, à la fois, de réaliser
des liaisons radio-télégraphiques à des vitesses de manipulation
qui dépassent 200 mots à la minute et des communications radio-téléphoniques à plus
de 10 000 kilomètres.
La Société Française Radio-Électriques
a fourni de tels émetteurs pour l'équipement des stations de Sainte-Assise,
Buenos-Aires, Pontoise (centre radio-électrique de l'Administration française
des P.T.T.), Saïgon, Tananarive, Prangins (centre radio-électrique
de la Société des Nations); etc.
Les Aériens
Projecteurs.
Parallèlement
au générateur d'ondes courtes, les ingénieurs
de la Société Française Radio-Électrique
mettaient au point un système aérien directif dont les
remarquables qualités techniques devaient s'affirmer dès
sa mise en service.
Nous avons vu plus haut qu'on était arrivé à concentrer
les ondes courtes en des faisceaux étroits susceptibles d'être dirigés
vers le poste correspondant. On augmente encore cet effet de concentration en
disposant au poste de réception un système projecteur analogue.
Le principe suivant lequel sont construits les
aériens projecteurs consiste à disposer leurs différents éléments
de telle manière que les courants qui les traversent ajoutent leurs effets
dans une direction déterminée et les annulent dans les autres directions.
On obtient ainsi une concentration d'énergie dans une direction perpendiculaire
au plan de l'aérien.
Il y avait une grosse difficulté dans la
réalisation d'un pareil dispositif, celle de l'alimentation des différents éléments.
Dans certains systèmes, mis au point dans d'autres pays, l'antenne est
constituée par un grand nombre de fils verticaux alimenté deux à deux
par les dérivations successives d'un feeder relié au poste émetteur.
Cette antenne est accompagnée d'un déflecteur, qui est disposé parallèlement,
derrière elle et qui comprend un nombre double de fils verticaux. L'alimentation
des fils d'antenne nécessite une symétrie absolue, de façon
que la longueur du feeder entre chaque brin d'antenne et l'émetteur soit
constance. De plus, des dispositions mécaniques très rigoureuses
doivent être prises pour assurer la tension des fils verticaux et maintenir
leur parallélisme. Ces complications mécaniques et électriques
conduisent à des réglages délicats assez longs.
Il faut ajouter aussi qu'un tel aérien ne
peut projeter d'énergie que dans un seul sens, en avant de l'antenne;
si l'on veut transmettre dans l'autre sens, il est nécessaire d'adjoindre
un second rideau d'antenne symétrique du premier par rapport au rideau
réflecteur.
Le système d'aérien mis au point
par la Société Française Radio-Électrique est d'une
extrême simplicité (M Chireix, ingénieur en chef des études
et recherches, en est l'inventeur. M le professeur Mesny avait lui-même émis
les idées qui ont facilité les études de M Chireix. Aussi
avons-nous appelé ce système d'aérien le "Chireix/Mesny" ou "C.M",
afin d'honorer ces deux savants.). Constitué par des éléments
en "dents de scie", l'alimentation est faite en un seul point, au centre
du rideau.
L'élément réflecteur est identique à l'élément émetteur,
ce qui fait qu'un tel aérien peut projeter l'énergie à volonté dans
un sens ou dans l'autre, chaque rideau pouvant jouer successivement le rôle
d'antenne et de réflecteur.
En outre, la simplicité mécanique de cet
aérien est très grande. Sa mise en place peut être effectuée
en quelques heures. Enfin, l'effet directif est considérable : par exemple,
en comparant l'effet d'un tel aérien composé de deux baies de 75
mètres de longueur à celui d'une antenne simple alimentée à la
même puissance, on a trouvé que le projecteur Chireix/Mesny multiplie
l'énergie à la réception par 70 environ par une seule baie
et par plus de 100 avec les deux baies.
La Réception
des Ondes Courtes.
Pour
la réception des ondes courtes, on a d'abord utilisé,
comme on le faisait à l'émission, des montages très
simples : une lampe détectrice à réaction suivie
d'étages d'amplification à basse fréquence. Mais
ce dispositif, dont un défaut essentiel était le manque
de stabilité, s'est vite révélé insuffisant.
On a eu recours ensuite au procédé du changement de fréquence
qui apportait une amélioration sensible pour la réception
des émissions radiotélégraphiques, mais qui se
prêtait mal à la radiotéléphonie.
Le défaut de tous ces récepteurs résidait
surtout dans l'insuffisance de l'amplification à haute fréquence
dont la réalisation soulevait en effet de grosses difficultés techniques
pour les ondes courtes.
Les ingénieurs de la Société Française
Radio-Électrique, profitant des enseignements que leur avaient apportés
leurs travaux sur les amplificateurs à très haute fréquence
destinés aux émissions radiotéléphoniques, ont repris
l'étude de la réception à ondes courtes et ont réussi à réaliser
des récepteurs d'une remarquable efficacité tant pour le trafic
télégraphique que pour le trafic téléphonique.
Ces récepteurs comportent, à l'entrée,
une amplification considérable des ondes reçues, suivie d'un seul
changement de fréquence qui fonctionne ainsi sur un signal de grande amplitude,
ce qui réduit le bruit de fond à une valeur pratiquement négligeable.
Un système antifading commande automatiquement l'amplification à haute
fréquence suivant l'amplitude du signal reçu et permet ainsi d'obtenir
une réception d'intensité constante en dépit de variations,
même très importantes, dans l'amplitude des signaux. Autrement dit,
si l'amplitude de ces signaux, du fait des phénomènes de propagation,
tend à diminuer, l'amplification du récepteur s'accroît dans
la même proportion et inversement. Grâce à ce dispositif,
les communications radio-téléphoniques s'échangent sans
qu'il soit pratiquement possible de distinguer de variations dans l'intensité de
la voix des usagers.
Le Multiplex.
Les
nécessités de l'exploitation ont entraîné les
ingénieurs de la Société Française Radio-Électrique à apporter à leur
matériel de nouveaux perfectionnements pour en augmenter le
rendement et les facilités d'utilisation.
Au nombre de ces perfectionnements, il convient
de citer le système de transmission multiplex qui a pour objet de réaliser
avec un seul émetteur et un seul récepteur deux communications
radiotéléphoniques et une communication radiotélégraphique
sur la même longueur d'onde.
Il semble a priori que les trois émissions
doivent interférer les unes avec les autres et se brouiller mutuellement.
Mais il n'en est rien grâce à un procédé ingénieux,
dont voici le principe.
On module l'onde porteuse de l'émetteur
par la combinaison de trois bandes de fréquence correspondant chacune à l'une
des communications. Les appareils de réception opèrent la sélection
de ces bandes de fréquence en restituant à chacune d'elle la forme
qu'elle avait au départ. Pour les communications radiotéléphoniques,
les fréquences acoustiques de chacun des deux courants microphoniques
sont, au moyen de modulateurs de fréquence spécialement conçus,
l'une transposée, l'autre transposée et inversée dans deux
bandes de fréquences distinctes et plus élevées. Quant à la
communication radiotélégraphique, elle est effectuée sur
deux fréquences plus élevées que celles des bandes radiotéléphoniques.
A la réception, on fait subir aux communications les opérations
inverses et on retrouve à la sortie des appareils les courants microphoniques
convenablement séparés et reconstitués et la transmission
télégraphique.
Ce procédé, dont on aperçoit
l'importance pour augmenter le rendement d'une liaison à ondes courtes,
présente en même temps un gros intérêt pour la radiotéléphonie.
Il permet en effet de réaliser le secret
de la communication par téléphonie sans fil, puisque les fréquences
acoustiques des conversations téléphoniques ayant été transposées à l'émission,
un récepteur qui n'est pas établi pour opérer la reconstitution
des fréquences d'origine, ne laissera entendre que des sons inintelligibles
dont le déchiffrement sera impossible.
La Téléphonie
Sans Fil.
La
radiotéléphonie à grande distance, rendue pratique
grâce aux ondes courtes, constitue un progrès d'une telle
importance, au point de vue technique comme au point de vue économique,
qu'il convient de souligner spécialement ici la grande part
qu'a prise l'industrie française dans sa réalisation.
Il est utile, tout d'abord, de dissiper une équivoque.
Certains s'étonnent parfois qu'il ait été nécessaire
d'attendre l'avènement des ondes courtes pour donner au problème
de la radiotéléphonie une solution satisfaisante. La radiodiffusion,
dit-on, avait été réalisée depuis longtemps sur les
ondes longues et les ondes moyennes, donc la radiotéléphonie l'était
du même coup, celle-ci n'étant qu'un cas particulier de celle-là.
C'est inexact. La technique de la téléphonie sans fil est distincte
de celle de la radiodiffusion.
L'objet de la radiodiffusion consiste, en effet, à faire
entendre au même instant à un nombre illimité d'auditeurs,
distribués au hasard dans le rayon d'action de la station, les mêmes
informations, les mêmes concerts. La communication entre l'auditorium de
radiodiffusion et les auditeurs est "unilatérale". D'autre part,
cette communication s'établit à des heures fixées à l'avance.
Enfin, si, pour une raison quelconque, un auditeur éprouvait des difficultés
de réception, le préjudice ne serait pas bien grave.
Au contraire, la radiotéléphonie,
tout comme la téléphonie sans fil, doit permettre, à tout
instant, d'établir rapidement entre deux personnes, dont l'une habite,
par exemple, Paris et l'autre Buenos-Aires et qui désirent entrer en communication,
une liaison bilatérale qui leur permette de tenir conversation.
Et il est désirable que cette conversation
radiotéléphonique ne puisse pas être surprise par tout auditeur
de T.S.F.
Pour ne pas limiter l'usage de la radiotéléphonie à quelques
privilégiés, il est indispensable aussi que les usagers puissent
employer, pour l'émission et la réception, leurs appareils ordinaires
d'abonnés au réseau téléphonique avec fil. Ainsi
une conversation entre deux correspondants doit pouvoir s'échanger aux
distances les plus grandes avec autant de commodité que s'il s'agissait
d'une communication entre deux abonnés d'un même réseau.
Enfin, quels que soient les deux correspondants
et l'instant de leur communication, il est indispensable que l'audition ne soit
troublée ni par des parasites atmosphériques ni par des variations
dans l'intensité de la voix.
On aperçoit maintenant quelques-uns des
problèmes délicats que la radiodiffusion n'avait pas connus et
que la radiotéléphonie allait poser.
Certes, on avait bien cherché, avant que
la technique des ondes courtes ne fût au point, à résoudre
le problème de la radiotéléphonie en utilisant les ondes
longues.
Mais celles-ci, comme nous l'avons déjà dit
dans le chapitre qui leur est réserve, offrent de gros inconvénients
dont peut s'accommoder dans une certaine mesure le trafic télégraphique,
mais qui sont absolument intolérables pour un trafic téléphonique
commercial. En premier lieu, elles sont sujettes aux parasites atmosphériques
qui sont particulièrement intenses dans certains pays. Ensuite, étant
donné qu'une antenne d'un poste à ondes longues rayonne son énergie
dans toutes les directions et que seulement une faible partie de cette énergie
se propage vers le correspondant, il faut, pour assurer un service satisfaisant
avec les ondes longues, mettre en jeu des puissances considérables. Le
rendement économique est donc excessivement faible et les correspondants
sont obligés d'acquitter des taxes extrêmement élevées.
C'est pourquoi les services techniques de la Société Française
Radio-Électrique ont travaillé pendant plusieurs années
au problème de la radiotéléphonie commerciale par ondes
courtes.
La mise au point de l'aérien projecteur
S.F.R Chireix/Mesny, que nous avons décrit plus haut, et qui permet de
concentrer en un faisceau étroit, dirigé vers le poste correspondant,
la totalité de l'énergie émise par le poste émetteur
et, par conséquent, d'obtenir aux grandes distances une énergie
considérable avec une puissance d'émission relativement faible,
allait rendre possible la mise au point définitive de la radiotéléphonie.
Dès le mois de mars 1928, la Société Française
Radio-Électrique effectuait une démonstration officielle de son
système, au cours de laquelle, le ministre du Commerce et des P.T.T (M.
Bokanowski) et plusieurs hauts fonctionnaires pouvaient communiquer de leur bureau
ou de leur appartement, avec le gouverneur de l'Algérie et plusieurs personnalités
d'Alger qui les écoutaient au moyen de leur téléphone d'abonnés.
Les résultats remarquables de cette expérience
avaient été obtenus en utilisant un poste expérimental établi
par les services techniques de la Société Française Radio-Électrique à Sainte-Assise,
et qui pouvait être commandé par l'un quelconque des appareils téléphoniques
du réseau français, avec une puissance de l'émission d'environ
10 kilowatts. La longueur d'onde de la transmission avait été choisie
de 30 mètres.
La station de réception était installée
dans les environs immédiats d'Alger et reliée au réseau
téléphonique Nord-Africain.
Les ingénieurs de la Société Française
Radio-Électrique, poursuivant leurs essais, entreprenaient au mois de
juin 1928 de démontrer la possibilité d'une liaison radiotéléphonique
commerciale avec Saïgon et le Japon d'une part, la République Argentine
d'autre part.
Le 21 juin, la communication téléphonique était établie
entre Paris et le gouverneur du Cambodge à Pnom-Penh, qui était
relié à la station de réception de Saïgon par un circuit
téléphonique de 250 kilomètres.
Au cours de ces démonstrations expérimentales,
il n'avait pas été possible de réaliser des liaisons bilatérales
faute d'installations d'émission dans les pays correspondants. La communication
se faisait donc dans un seul sens.
Pour démontrer complètement la valeur
de son procédé et de ses appareils la Société Française
Radio-Électrique organisait, à partir du mois de juillet 1928,
une nouvelle série d'essais de communications radiotéléphoniques,
bilatérales cette fois, avec Buenos-Aires où l'on disposait des
installations nécessaires. A cette fin, deux antennes projecteurs S.F.R
Chireix/Mesny étaient installées à Sainte-Assise et orientées
vers Buenos-Aires; en outre, une antenne directive pour la réception était établie à Villecresnes.
La liaison était réalisée, en Argentine, par l'intermédiaire
du centre de Monte Grande pour l'émission, et de Villa Elisa pour la réception.
Les longueurs d'onde utilisées étaient respectivement de 15m,55
du côté français et de 15m,03 du côté argentin.
Cette différence de longueur d'onde, cependant faible, permit de réaliser
une liaison bilatérale dans des conditions excellentes.
Au cours de cette expérience, les ingénieurs
de la Société Française Radio-Électrique pouvaient
achever la mise au point d'un dispositif spécial dit "antiécho",
dont le rôle est de supprimer un phénomène d'écho
téléphonique fort gênant, suivant lequel les correspondants
s'entendaient parler avec un certain retard.
Les résultats des essais étaient à ce
point remarquables que, dès le 13 août, le directeur de la Transradio
Internacional, compagnie qui exploite les liaisons radio-électriques en
Argentine, écrivait à la Société Française
Radio-Électrique "qu'à son avis l'inauguration commerciale
du service radiotéléphonique entre la France et l'Argentine devait être
envisagée dans des délais aussi courts que possible".
Toutefois, la Société Française
Radio-Électrique, soucieuse de ne rien laisser au hasard et de n'ouvrir
cette liaison que dans des conditions de sécurité complète,
entreprenait de nouveaux perfectionnement à ses appareils.
Les essais furent repris en décembre 1928
et janvier 1929 et donnèrent des résultats définitifs. La
communication radiotéléphonique bilatérale Paris-Buenos-Aires était
assurée avec une très grande sécurité, les conversations
s'échangeaient avec facilité et sans répétition.
Au cours de ces conversations, aucun affaiblissement
ni aucun éclat n'étaient constatés dans la voix des correspondants.
Cette expérience avait un tel retentissement
que de nombreuses personnalités françaises et étrangères
utilisaient la communication à titre de démonstration pendant le
mois de décembre et le mois de janvier.
Le 17 décembre, notamment M. Philippe Berthelot,
secrétaire général du Ministère des Affaires Étrangères à Paris,
s'entretenait avec M. Clinchant, ambassadeur de France à Buenos-Aires.
Au mois de janvier, un abonné du réseau
de Berne était mis en communication avec la Légation Suisse à Buenos-Aires.
Ces diverses expériences permettaient de
conclure à la mise au point définitive du procédé technique
de la Société Française Radio-Électrique pour la
radiotéléphonie transocéanique et à la possibilité d'ouvrir
immédiatement la communication radiotéléphonique bilatérale
non seulement entre la France et Buenos-Aires, mais encore entre l'Europe et
l'Argentine.
Le 31 janvier 1929, ce service radiotéléphonique était
officiellement inauguré par M Briand, ministre des Affaires Étrangères,
et par M. Germain-Martin, ministre des P.T.T. qui entraient en conversation avec
leurs collègues argentins.
Au cours de l'entretien, M. Briand fit à son
correspondant la réflexion suivante :
"Je vous entends parfaitement, aussi bien
que si vous étiez dans mon cabinet; il n'est pas possible que 11 000 kilomètres
nous séparent, la carte doit mentir."
Dès le 1er février, le
service radiotéléphonique France-Argentine était ouvert
au public et l'on inaugurait en même temps le service radiotéléphonique
entre Berne et Buenos-Aires par l'intermédiaire de Paris.
En 1930, la Société Française
Radio-Électrique équipait la station de Saïgon et, le 11 avril
de la même année, la liaison radiotéléphonique entre
la France et sa grande colonie d'Extrême-Orient était ouverte au
public.
En même temps, on se préoccupait de relier
par la téléphonie sans fil la France avec ses possessions nord-africaines.
L'Office des P.T.T. de l'Empire Chérifien faisait installer, par la Société Française
Radio-Électrique, à Rabat, une station émettrice-réceptrice à ondes
courtes pour la télégraphie et la téléphonie sans
fil, et les services avec la France pouvaient être ouverts en 1931. Ils étaient
effectués d'abord avec la station de Sainte-Assise de la Compagnie Radio-France,
en attendant que l'Administration française des P.T.T. possédât
elle-même un centre radiotéléphonique à ondes courtes.
Cette Administration chargeait, de son côté,
la Société Française Radio-Électrique, d'étudier
et de réaliser l'installation d'un grand centre radiotélégraphique
et radiotéléphonie à ondes courtes à Pontoise destiné,
en particulier, à assurer le service téléphonique sans fil
avec l'Afrique du Nord, ainsi que d'un poste analogue destiné à Alger.
Toutes ces installations ont été mises
en service en 1934.
Les grandes
stations équipées par
la Société Française Radio-Électrique.
La
description des stations radio-électriques équipées
par la Société Française Radio-Électrique
serait d'une lecture fastidieuse. Nous nous limiterons à fournir
quelques renseignements essentiels sur quelques centre radio-électriques
importants.
Stations
Françaises.
Centre radio-électrique
de Sainte-Assise (Compagnie Radio-France)
Le
9 janvier 1921, était posée la première pierre
du grand centre radio-électrique de la Compagnie Radio-France,
situé à Sainte-Assise (près de Melun).
Il comprenait, dès l'origine, deux grandes
stations d'émission, indépendantes l'une de l'autre.
La station
transcontinentale, destinée au service radiotélégraphique à très
grande distance avec :
L'Amérique du Nord;
L'Amérique Centrale;
L'Amérique du Sud;
L'Asie, etc...
La station
continentale pour les liaisons radiotélégraphique
dans un rayon d'environ 3 000 kilomètres.
La station
transcontinentale comporte deux machines à haute
fréquence de 500 kilowatts-antenne et deux machines de 250
kilowatts-antenne, pouvant fonctionner séparément
ou couplées électriquement deux à deux.
La manipulation, commandée à partir
du Bureau Central de Radio-France (BCR) à Paris, 166, rue Montmartre,
peut être effectuée à une vitesse de plus de 100 mots par
minute.
L'antenne, soutenue par 16 pylônes de 250
mètres de hauteur, forme une nappe double de 3 kilomètres de longueur
qui couvre une superficie de 1 200 000 mètres carrés.
Cette antenne a exigé la mise en œuvre
de 70 000 mètre de fil d'antenne proprement dit et de 16 000 mètres
de câble d'acier.
La prise de terre, du système dit "à terres
multiples", comprend 80 000 mètres de lignes enterrées. Elle
couvre une surface de 1 800 000 mètres carrés.
L'alimentation en énergie électrique
de la station est assurée soit par le Sud-Lumière, soit par deux
groupes Diesel de 1 400 - 1 800 HP.
La station
continentale comprend 2 machines à haute fréquence
de 25 kilowatts antennes, 2 émetteurs à lampes et
une usine thermique d'alimentation de 320 HP.
L'antenne du type en parapluie est supportée
par un pylône de 250 mètres de hauteur.
La prise de terre, qui est complétée
par un contrepoids, a exigé 50 000 mètres de fil de cuivre.
Ces installation qui constituent le centre d'émission à ondes
longues de Sainte-Assise furent inaugurées officiellement le 7 août
1922, par un message adressé par M. Millerand, président de la
République, à M. Harding, président des États-Unis.
Cette inauguration eut un retentissement considérable
et le centre de Sainte-Assise apparut comme la plus audacieuse entreprise du
domaine de la radio-électricité. La construction du matériel
et des bâtiments et tous les montages et mises au point avaient duré un
an et demi, délai remarquable, surtout à une époque où les
moyens de production étaient assez limités pour certaines fournitures.
Tous les travaux avaient été dirigés selon la méthode
graphique : le délai prévu fut observé exactement et le
dépassement sur le devis initial annexé au projet n'atteignit pas
2 p. 100.
Les premières émissions de la nouvelle
station se révélaient d'une qualité technique exceptionnelle.
Au premier appel lancé par la station de
Sainte-Assise, le 4 juillet 1922, le poste de Marion aux États-Unis répondait
aussitôt dans les termes suivants :
"Vos signaux sont très forts, votre
manipulation est très bonne, régularité aussi. Prière
transmettre à 80 mots par minute".
De son côté, M. Marconi qui se trouvait à bord
de son yacht "Elettra", en rade de New-York, adressait galamment à la
station de Sainte-Assise le résultat de ses observations.
"Vos premiers signaux observés
sur yacht "Elettra" sont nettement beaucoup plus forts que Carnarvon,
régulation et manipulation excellentes, bande à 80 mots par minute
très satisfaisante".
Le lendemain, M. Marconi complétait ses
observations de la veille par ses plus chaleureuses félicitations, "Nous
avons reçu les signaux de votre nouvelle station française sur
les appareils de mon yacht "Elettra" maintenant à New-York,
je vous envoie de plus grand cœur congratulations pour la puissance, la
qualité et la netteté des signaux indiquant un succès marqué dans
l'étude de l'établissement de la station".
Au cours de ces essais, la station de réception
de l'Agence Havas établie à Buenos-Aires adressait ses observations
par le télégramme suivant :
"Avons entendu hier soir et ce matin Sainte-Assise, à tout
moment, avec force supérieure à toutes autres stations du monde
et incomparablement plus fort que Bordeaux, fonctionner à grande vitesse
avec l'Amérique-Nord".
Ces quelques attestations permettent d'apprécier
quel degré de perfection avait atteint, déjà en 1922, la
technique de la Société Française Radio-Électrique.
Les stations à ondes
courtes - Les progrès dans l'emploi des ondes
courtes pour la radiotélégraphie et la radiotéléphonie
ont déterminé, en 1926-1927, la Compagnie Radio-France à doter
son centre d'émission de Sainte-Assise de postes à ondes
courtes :
Deux émetteur doubles radiotélégraphiques
permettant d'effectuer 4 émissions simultanées,
Un émetteur à maître oscillateur à quartz
prévu pour deux longueurs d'onde utilisables successivement et pouvant
fonctionner indifféremment en télégraphie ou en téléphonie.
La puissance totale absorbée par ce centre à ondes
courtes est de 200 kilowatts environ.
Les émetteurs ci-dessus actionnent 16 aériens
réflecteurs qui sont orientés respectivement vers l'Amérique
du Sud, l'Extrême-Orient, les États-Unis, la Syrie, l'Indochine,
la Chine, le Japon et l'Europe Orientale.
Le développement de l'exploitation a conduit à installer,
en outre, dans le bâtiment de la station transcontinentale un émetteur à ondes
courtes à maître oscillateur à quartz, pouvant fonctionner
soit en radiotélégraphie, soit en radiotéléphonie.
Cet émetteur alimente deux antennes réflecteurs
orientées respectivement vers l'Amérique et vers l'Indochine.
Enfin, l'ouverture du service radiotéléphonique
avec l'Amérique du Sud a nécessité la création d'une
station spéciale équipée avec un émetteur à quartz
alimentant un réflecteur orienté vers Buenos-Aires.
Les stations d'émission
du centre de Sainte-Assise, avec leurs antennes, couvrent une superficie
de 450 hectares.
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