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Portrait

Maurice Henri Jean Marie Gingembre

Paris, le 22 avril 1920 – Orbe, canton de Vaud, Suisse, le 18 avril 1978.

 

La famille s’installe en 1957 à Seine-Port, Villa Déjazet


Né le 22 avril 1920 à Paris (7ème), de Paul Auguste Léon Marie Gingembre (1896-1995) et Claude Léontine Charlotte Joséphine Deyron (1900-1981)

Il fit de brillantes études, interrompues par la guerre en 1939 : il est docteur en droit, ingénieur-docteur ès sciences, licencié ès lettres. Engagé volontaire en 1939, il fut fait prisonnier, tenta de s'évader, et fut envoyé en camp de représailles, d'où il réussit finalement à s'échapper.

À la libération, il rejoignit, en traversant les lignes, les alliés à Bayeux, après le débarquement, et fit campagne comme aspirant d'artillerie dans la 2e D.B. du général Leclerc, cependant que son frère Guy, rejoignait l'armée de Lattre de Tassigny. Ce dernier devait être tué le 29 septembre 1944, à 23 ans, lors des combats pour la prise de Lure, dans les Vosges.

M. Maurice Gingembre, libéré de ses obligations militaires en 1946, se spécialisait alors dans la prospection minière. Il était nommé, il y a deux ans, directeur général de la société des mines de phosphates du Djebel-Omk, que présidait déjà son père, M. Paul Gingembre.

Sous-lieutenant de réserve, alors domicilié 118 rue de la Faisanderie (Paris 16ème), il se marie le 30 août 1945 à Caen (Calvados) avec Suzanne Andrée Marie Delacour, née le 19 janvier 1924 à Paris (14ème), domiciliée à Caen, 23 rue Docteur Rayer.
Ils eurent 3 enfants :
Jean-Guy (Paris (8ème), 23/06/1946 – Paris (18ème), 02/05/2006),
Patrick Jean Marie (Caen, Calvados, 10/07/1947 – Paris (14ème), 27/06/2003,
Bruno Paul Léon (Algérie, 22/10/1948 – USA, 13/04/1992.

Suzanne Gingembre fondera le 16 novembre 1962 la revue « Europe-Action » sous la forme d’une SARL au capital initial de 100.000 francs avec 34% des parts, Jacques de Laroque-Latour 33% et Dominique Venner 33%. Faisait également partie du groupe « Le Groupement d’étude des rapatriés et sympathisants », fondé en 1963 par Madame Gingembre et Dominique Venner. Cette revue cessera de paraître début 1967.

Suzanne décèdera le 9 janvier 2000 à Bagnols-sur-Cèse (Gard).

 


Article du Monde publié le 11 septembre 1961

M. Maurice Gingembre, directeur général adjoint de la société des mines de phosphates du djebel Omk dirigée par son père, que la police croit être un des trésoriers de l'O.A.S., a été arrêté vendredi soir à l'aérodrome de Maison-Blanche à Alger, à sa descente de la Caravelle d'Air France venant de Paris.

Selon l'agence France-Presse, les conditions de son arrestation ont été les suivantes :
La police de l'air de l'aérodrome d'Orly avait, en vertu d'instructions récentes, reçu l'ordre de surveiller le départ de M. Gingembre et de vérifier en particulier le contenu de ses bagages. C'est au moment où ce dernier s'apprêtait à prendre l'avion pour Alger qu'il a été identifié.

Les policiers allaient procéder à son arrestation lorsqu'en consultant la liste des passagers ils constatèrent que le colonel de gendarmerie Debrosse voyageait sur le même avion.

M. Gingembre fut alors autorisé à quitter la métropole, cependant que le colonel Debrosse, qui avait joué un rôle important pendant la semaine des " barricades ", en janvier 1960, était chargé par les autorités de surveiller M. Gingembre durant le vol et de s'assurer de sa personne à l'arrivée à Alger.

M. Gingembre est arrêté le 7 septembre 1961 par le colonel Debrosse.
Il sera jugé et condamné à 10 and de prison. Interné à La Santé puis à Toul, il sera libéré le 24 décembre 1965.

 


Livre

Le doute demeurait au lendemain du procès Vanuxem. Jean Gauvin, qui connut personnellement, dans des circonstances exceptionnelles, les principaux accusés et recueillit leurs confidences, s’est attaché à découvrir la trame secrète de cette affaire.

Il suivit les débats de la Cour de Sûreté, Interrogea d’anciens membres de l’O.A.S., accéda aux archives de l’organisation secrète. Il livre ici le résultat de son enquête.

Cette affaire, qui passionna l’opinion, apparaît alors comme l’un des épisodes les plus dramatiques de la lutte entre la police et les réseaux activistes. L’agent de liaison du directoire de l’O.A.S., l’industriel Maurice Gingembre, porte sur lui un important courrier, lorsqu’il est capturé en septembre 1961. Seul, face aux policiers de la caserne des Tagarins, soumis à un interrogatoire « spécial », il doit impérativement gagner du temps et détourner les enquêteurs des véritables dirigeants de l’organisation...

On suit les débats du procès, les réquisitoires, les plaidoiries.
On assiste à la naissance du fameux « Groupe de Madrid », animé par le colonel Argoud.
On lit les correspondances intégrales des chefs de l’O.A.S. : Salan, Godard, Argoud, Lagaillarde, Sergent...
On découvre, enfin, le dossier des examens médicaux des activistes torturés aux Tagarins.

Avant même sa parution, l’hebdomadaire « Minute », pouvait écrire que ce livre serait « explosif ».


AVANT-PROPOS

Le 9 juin 1961, le général Salan désignait, pour le représenter en métropole, un officier général et un civil. Il leur attribuait les pseudonymes de « Verdun » et « Raphaël ». Entre le 20 et le 25 juin, le général « Verdun » ayant accepté, limitait son activité à quelques prises de contact. Malgré ce maigre bilan, le 13 août, le général Salan le nommait chef de l’O.A.S.-Métropole, et recevait, le 2 septembre, son acceptation. Qui était « Verdun »  ? C’est autour de ce point que devait tourner le procès qui s’ouvrit, deux ans plus tard, le 3 septembre 1963, devant la cour de Sûreté de l’Etat.

Cependant, il apparut bien vite que tel n’était pas le seul intérêt de ce procès exceptionnel, où trois dossiers se trouvaient, en fait, mélangés. Celui de « Verdun » et de son chef d’Etat-major, « Balance », que l’accusation s’évertua à présenter comme étant le général Vanuxem et le colonel de Blignières ; celui du trésorier de l’O.A.S.-Métropole, M. Maurice Gingembre, qui ne contestait pas l’accusation ; enfin le procès de présumés activistes mineurs, qui devaient au hasard d’être mêlés à l’affaire principale. Ces derniers n’entrent donc pas dans le cadre de cet ouvrage, où ils ne seront cités qu’occasionnellement, ceci, sans mésestimer l’intérêt que chacun d’eux peut présenter.

Le procès était exceptionnel par la personnalité des accusés : ni le général Vanuxem, ni le colonel de Blignières, ni M. Maurice Gingembre n’entraient dans la catégorie habituelle des activistes civils ou militaires, qui furent déférés, en si grand nombre, devant les tribunaux d’exception de la Cinquième République. Les deux premiers, pour être souvent non-conformistes dans les disciplines de leur métier, n’en sont pas moins fortement attachés à l’ordre social existant. Quant au troisième, il appartient à cette Grande Industrie qui ne s’est jamais montrée enthousiaste pour les engagements politiques militants.

Pour la première fois dans un tel procès, des accusés aussi considérables ne reconnurent pas leur appartenance à l’O.A.S., à l’exception toutefois de M. Maurice Gingembre, qui le fit avec fierté.

Fait inhabituel, on entendit un accusé militaire revendiquer un honneur qu’il faisait coïncider avec la soumission au Pouvoir.

On ne pourra manquer de voir, également, dans ce procès, le tableau des mœurs d’une société où la torture, l’arbitraire policier, le mensonge proclamé, l’impudent cynisme des puissants, se dissimulaient derrière la justification de formules taboues.

Au-delà de ces observations, le malaise éprouvé après l’examen des pièces de cette affaire, une présence attentive aux audiences, une connaissance personnelle et souvent directe des principaux accusés et des circonstances qui les ont conduit devant leurs juges, ont poussé à ouvrir ce dossier. Une question se faisait à chaque instant plus insistante : derrière les gros titres de ce dossier, il manquait une explication à l’attitude des accusés, des accusateurs et des juges. Ces pages, qui couvrent une partie de l’histoire des hommes de notre temps, apportent une réponse étayée sur une analyse minutieuse du procès proprement dit, mais aussi sur les témoignages d’un grand nombre de personnes mêlées aux activités clandestines de cette première période de l’O.A.S. Libre au lecteur d’y souscrire ou de la refuser. Il trouvera, réunis à son intention, tous les éléments du dossier, ceux qui sont connus et ceux qui n’ont jamais été publiés.

Que tous ceux qui ont bien voulu apporter leur contribution à cette enquête soient remerciés et tout particulièrement Messieurs les Avocats, qui ont eu la grande amabilité de communiquer le texte de leurs plaidoiries.
AUX ORIGINES

— Général Vanuxem, vous êtes libre !
— Maurice Gingembre, dix ans de détention criminelle !
— Colonel Le Barbier de Blignières, six ans de détention criminelle !
Dans la salle d’audience, anciennement réservée à la XVIIe Chambre Correctionnelle, la Cour de Sûreté de l’Etat vient de rendre son arrêt. Il est 19 heures. Nous sommes le 7 septembre 1963.

Deux ans avant, le même jour, à la même heure, Maurice Gingembre, directeur du Djebel Onk, s’apprête à monter dans la Caravelle d’Alger, la serviette pleine des documents qu’il a pour mission de transmettre à l’O.A.S. d’Alger. A sa descente d’avion, il n’est plus qu’un prisonnier.

Pour lui, et pour ses co-accusés, tout a eu pour origine la rencontre, à Madrid, de deux hommes : Pierre Lagaillarde et le colonel Argoud. Le premier était, l’on s’en souvient, passé en Espagne le 2 décembre 1960, au cours du procès des Barricades. Il était, avec le général Salan, le fondateur en février 1961, de l’O.A.S. à laquelle il avait trouvé son nom. La jalousie et les intrigues d’un autre activiste, Susini, lui avaient valu d’être exclu du putsch d’avril. Seuls, le général Salan, le capitaine Ferrandi et Susini avaient pu rejoindre Alger, le dimanche 23 avril 1961. Pour éloigner Lagaillarde et deux autres exilés algériens, Susini organisa pour eux un départ fantôme, qui devait avoir lieu d’un aérodrome madrilène, différent, naturellement, de celui utilisé par le général Salan. Celui-ci ignorait probablement tout de cette machination. C’est pour entendre annoncer à la radio l’arrivée de l’avion du général Salan à Alger, que Lagaillarde et ses deux compagnons revinrent de leur « promenade » stérile dans les environs de Madrid. Ils s’aperçurent, en même temps, qu’on avait omis de leur laisser une partie, même faible, des sommes dont disposait l’ensemble des exilés, Susini ayant poussé le luxe jusqu’à emprunter personnellement à Lagaillarde quelques centaines de milliers de francs anciens.

Après l’échec du putsch, le gouvernement français intervint auprès du gouvernement espagnol, et la situation des exilés devint critique. Malgré leur manque d’argent, ils durent se disperser à travers l’Espagne. Lagaillarde put échapper à l’internement, en se dissimulant comme moine, dans un couvent.

Quand la situation se détendit, il revint à Madrid. Avec un groupe d’exilés, parmi lesquels les anciens dirigeants du F.A.F., il reprit ses liasons avec l’Algérie. Malgré sa totale pénurie de moyens financiers, il reprit progressivement en main ses réseaux, constitués souvent à partir de l’ancien F.A.F., dissous après les journées de décembre 1960.

Le colonel Argoud, lui, avait été surpris par l’échec du putsch, dans la région d’Orléansville. Il était en uniforme. Comment il put se mettre en civil, gagner Alger, se dissimuler dans des maison amies, échapper un jour à une perquisition en passant, dans l’appartement voisin, par la fenêtre et finalement rejoindre la métropole, ce n’est pas le moment de le raconter. Il resta à Paris, jusqu’au début du mois de juillet 1961, abrité par divers amis, dont Maurice Gingembre. Il vit de nombreuses personnes, dont le capitaine Sergent, puis de jeunes officiers, et repartit pour Madrid, début juillet, malgré l’insistance de beaucoup, (dont ces officiers), qui désiraient lui voir prendre la tête, en France, de l’O.A.S.-Métro, encore inexistante. Certains politiciens de droite, avec et sans uniforme, lui firent miroiter pour l’éloigner, la perspective de certains appuis étrangers.

Echappant — déjà — à une tentative d’enlèvement par les barbouzes — à Genève — le colonel Argoud arrivait à Madrid, à la fin de la première quinzaine de juillet. Pour la petite histoire, on peut préciser qu’il passa la frontière, muni d’un passeport, au nom de Pedro Gonzalès y Cordoba, acheté par un prêtre activiste à un souteneur de Pigalle. Sur place, il constatait rapidement que tout ce qu’on lui avait fait miroiter, à Paris, était inexistant. Il prenait alors contact avec Lagaillarde, que, primitivement, il n’avait pas l’intention de voir.

Il découvrait l’intérêt du travail accompli par Lagaillarde et son équipe, composée d’un petit nombre d’hommes habitués à l’exil et à la clandestinité. Depuis un mois et demi, Lagaillarde avait pu reprendre en main, tant en Métropole qu’en Algérie, un certain nombre de groupes encore embryonnaires ; ses émissaires avaient effectué plusieurs missions en France ; un secrétariat central avait été mis en place. Le point noir demeurait les rapports avec l’Algérie. Il se heurtait à une hostilité, non déguisée, de ce qui était devenu « l’Etat-Major d’Alger ».

Le 24 août, il faisait parvenir à ses responsables en Algérie, une directive où s’exprimait clairement son amertume : « Il est indiscutable que j’ai été délibérément écarté de l’action au moment du 22 avril, dans les conditions que les messagers seront à même de vous définir en détail. Or, avec le consentement unanime de tous, la Direction centrale de l’O.A.S., dont j’étais le chef, exerçait son autorité sur les trois régions de l’Algérie... »

Jouant plusieurs tableaux, pour ménager ses visées personnelles, Susini envoyait à Madrid, fin juillet, son garde du corps israélite Saada, pour apporter à Lagaillarde une lettre débordante d’amitié... lui conseillant de ne pas s’occuper de l’Algérie et de pas s’y rendre.

Au début du mois d’août 1961, arrivait, d’Algérie, le colonel Lacheroy, qui s’intégra au groupe, après avoir connu également une odyssée peu ordinaire. On l’avait vu soutier sur un cargo, moine, enfermé plusieurs semaines dans une cachette, passager clandestin à bord d’un pétrolier qui l’amenait à Madrid, par Bône, Gênes, Nice et le Perthus, avec deux passeurs clandestins de frontière.

A Paris, le capitaine Sergent, qui s’efforçait de grouper les éventuels partisans de l’O.A.S., se tournait vers Madrid, et prévoyait de s’y rendre au début septembre.

L’équipe de Madrid devenait un pôle d’attraction. Les recrues étaient d’inégale valeur, mais on venait aux renseignements et parfois aux ordres. C’est en liason avec Madrid, que se manifesta le début d’agitation O.A.S. en métropole, dès cet été 1961. Le Dr. Lefevre, le journaliste Georges Bousquet, Maurice Gingembre d’autres moins connus, se joignirent au groupe madrilène.

En effet, l’équipe de Madrid avait tiré certaines leçons politiques des événements récents. Pour elle, le principal théâtre de combat était le territoire métropolitain ; c’est pourquoi, elle pensait que, si l’O.A.S. ne parvenait pas à reprendre en main l’opinion française, intoxiquée par l’incessante propagande gouvernementale, tous les efforts faits en Algérie n’aboutiraient à rien. Le régime parviendrait à ses fins, et l’Algérie serait livrée au F.L.N. Il fallait donc tenir en Algérie, et accepter de se donner un délai de l’ordre de plusieurs mois, pour travailler en profondeur l’opinion française, grouper tous ceux qui étaient désemparés par les récents événements, influencer les milieux dirigeants, troublés et inquiets, et torpiller la propagande gouvernementale.

Pour cela, le groupe de Madrid s’opposait au terrorisme aveugle, et entendait porter tous les efforts sur la propagande. Il prétendait également que le chef de l’Armée secrète, et une partie de ses collaborateurs, ne devaient pas rester en Algérie, où les problèmes locaux interdisaient les vues d’ensemble, Il proposait leur installation, soit sur le territoire métropolitain, soit plutôt à l’étranger, d’où cette tête pourrait conduire l’ensemble du mouvement. Il lui semblait que la solution la meilleure, était d’installer le général Salan à Madrid, d’établir un organisme central où chacun aurait des responsabilités précises, bien définies. Dans l’esprit du groupe de Madrid, ce plan permettrait de mettre fin à l’anarchie existant dans l’O.A.S.-Métropole, et de livrer bataille dans les meilleures conditions.

Dans une lettre destinée au colonel Godard, le colonel Argoud exposait clairement cette ligne politique :

Madrid ce 6.9.

Mon cher Buenos Ayres,

Votre lettre datée du 10 août, celle datée du 6, me parviennent aujourd’hui seulement. Vous vous imaginez facilement qu’elles pouvaient être mon impatience et mon inquiétude, devant un silence que je ne savais comment interpréter ; quelle est ma joie, aujourd’hui, d’avoir renoué le contact avec vous.

J’ai déjà esquissé, dans ma réponse à Santiago, notre opinion au sujet des principes généraux d’organisation de notre mouvement. Je crois indispensable de vous les préciser, car je ne voudrais pas qu’il subsistât, entre nous, le moindre malentendu.

La création d’un organisme supérieur, ayant à connaître de l’ensemble des problèmes algériens, métropolitains, internationaux, et à prendre à leur sujet des décisions, est avérée de plus en plus indispensable, avec le temps.

Ces problèmes sont, en effet, plus intimement liés que jamais. Aucune action d’envergure, en Algérie, n’a désormais de chances sérieuses de succès, si elle n’est pas accompagnée, simultanément, d’une action en Métropole.

Le 22 avril, a marqué la fin de l’ère où la prise du pouvoir pouvait s’effectuer, séparément en Alger et à Paris, avec un large décalage. Je n’en veux, pour preuve, que deux faits :

 — Les chefs de corps, susceptibles de s’engager effectivement à nos côtés, ont été éliminés. Les chefs de corps hostiles qui les ont remplacés, ne pourront être désormais neutralisés, sinon retournés, que par une modification brutale du contexte politique à Paris.

 — L’internationalisation — de facto — croissante, du problème algérien, interdit pratiquement, dans l’avenir, la réussite d’une action limitée à l’A.F.N.

Ce directoire doit comprendre, au plus, une quinzaine de membres. En feront partie, de droit, les personnalités civiles et militaires qui, par une attitude sans équivoque, se sont faits un nom dans la lutte pour l’Algérie française : c’est-à-dire (liste non exhaustive) : Santiago, Montréal, Buenos-Ayres, Equateur, Santa-Fé, Washington; etc...

La complexité des tâches, l’ampleur des travaux à effectuer, la multiplicité des liaisons à prendre, ne peuvent, en aucune manière, s’accommoder des conditions de vie clandestine, imposées par les circonstances en Alger, et même à Paris. Le siège de l’organisme supérieur ne peut donc être implanté qu’à l’extérieur.

C’est là une loi générale. Sans remonter jusqu’à Lénine, qui a préparé la Révolution russe en France, en Pologne et en Suisse, l’exemple plus récent du G.P.R.A., suffit à la démontrer. Encore les chefs du F.L.N. bénéficient-ils, en Algérie, d’une liberté de circulation bien supérieure à la nôtre.

Compte tenu des impératifs géographiques et du contexte international actuel, Madrid est la seule capitale possible. Ceci n’implique nullement la présence permanente, dans cette ville, des membres de l’organisme, mais simplement l’implantation d’un secrétariat général.

L’application de ce programme permettra seule à notre sens :

De réaliser l’unité d’action, que les militants de base réclament avec plus d’insistance chaque jour.
De placer le problème algérien dans un cadre d’ensemble cohérent, qui puisse recueillir l’approbation générale.
En revanche, la politique que vous préconisez me semble pêcher sur deux points essentiels.

Quelle que soit l’importance de l’Algérie, et vous voudrez bien croire que nous sommes les derniers à la sous-estimer, ce serait une erreur grave, d’y enfourner la quasi-totalité des personnalités en vue. Ce serait courir, pour le mouvement, un risque inadmissible. Ce serait, ensuite, laisser le champ libre en Métropole, à toutes les factions, et spécialement aux hommes du système.

Il ne nous est plus possible d’accepter de nous plonger dans des tâches exclusivement militaires, si importantes soient-elles, et de faire une aveugle confiance, sur le plan de la politique générale, à qui que ce soit.

Tel est le résumé de notre position. Comme vous le voyez, il ne s’agit, en aucune manière, de revendiquer pour nous, à Madrid, un quelconque droit de commandement, que rien d’ailleurs ne justifierait.

Nous demandons, simplement, que l’union se fasse dans les meilleurs délais, autour d’un organisme supérieur — capable d’exercer son commandement, par le truchement de réunions périodiques à Madrid.

Voilà, mon cher Buenos Ayres, les réflexions que je voulais vous soumettre.

J’insiste encore, pour terminer, sur la nécessité absolue de réunions périodiques. Elles seules, peuvent empêcher la naissance et le développement de malentendus, que nos adversaires et certains de nos amis ne manqueront pas d’exploiter.

Je vous dis ma profonde et fidèle amitié.
Michigan.

Alger avait répondu par avance à ce plan par la négative. Le général Salan rédigeait le 31 août une correspondance à l’intention du colonel Argoud. Elle constituait une condamnation de la ligue madrilène, sans pour autant proposer de solution de rechange

Le 31 août 1961.
Mon cher Albatros,

Je reçois votre lettre, où vous me faites connaître votre décision, quant à l’offre que je vous avais faite, en ce qui concerne B.B. (ou R.R.). Croyez bien que je déplore que vous n’ayez pas donné votre accord, car nous avons grand besoin de cadres supérieurs valables, pour les zones.

L’exposé que vous me faites, quant aux avantages que présente l’éloignement sur le plan de l’autorité, est bien dans mes vues. Mais je pense que cela serait certainement très valable, si nous étions assurés de trouver, non seulement la complaisance, mais, surtout, l’appui, du gouvernement du pays où nous déciderons d’implanter l’Organisation Extérieure. En tout état de cause, et je crois connaître suffisamment le problème, je serai assez étonné si les Espagnols nous laissaient toute liberté, alors que Paris et d’autres pays manifesteraient, sinon leur opposition, du moins une désaprobation marquée. Tout cela implique, a priori, des contacts à un échelon élevé, et des assurances fermes. Mais quelles que soient les promesses que les dirigeants pourraient faire, il faut compter sur le fait, qu’un jour ou l’autre, rien ne les empêchera de se dédire, nous bloquer et nous paralyser, sous la pression d’événements ou d’interventions extérieures.

Compte tenu, par ailleurs, du cours actuel des événements, et de l’accélération dans les décisions de Paris, la situation pourrait évoluer assez vite. C’est en Algérie ou en Métropole qu’il faut être, si nous voulons guider, commander ou, tout au moins, imposer nos points de vue.

En ce qui me concerne personnellement, les renseignements que je recevrai de Paris, l’évolution de nos moyens aussi bien en Métropole qu’ici, conditionneront mes décisions à venir et, surtout, ma position géographique, le moment venu.

Je viens de prendre connaissance des derniers rapports envoyés ici par Laon. Je ne vous dissimulerai pas mon étonnement. Il me paraît avoir des sentiments et des jugements qui ne répondent pas à ceux que, personnellement, je lui témoigne. Je les ai d’ailleurs manifestés encore, dans mes correspondances au Ministre. Je crois qu’il y a là un malentendu, que j’attribue beaucoup plus à un manque d’informations, qu’à une volonté systématique de critique. En tout état de cause, de telles manifestations sont nuisibles à cette cause qui, jusqu’à plus ample informé, est, et doit être, dans l’immédiat, la défense de l’intégrité du territoire.

J’estime notre combat trop important, pour que je puisse tenir rigueur de ce que je peux lire ou entendre.

Je pense que là doit tenir le rôle qui lui revient. Il a su prendre ses responsabilités, lorsqu’il a fallu ; il a un rayonnement certain et, pour tout ce qu’il peut représenter, se doit d’occuper sa place dans la lutte. Mais je crois que cette place, il doit la tenir en Algérie ou en Métropole.

En Algérie, le comité sup. de l’O.A.S. est prêt à l’accueillir et lui demander d’assurer la direction des affaires politiques. En Métropole, je suis sûr qu’il pourra aisément s’imposer dans la branche où il estimera rendre les meilleurs services. Mais, en tout état de cause, il faut bien qu’il comprenne que la ligne de conduite qu’il vient d’adopter à notre égard est, non seulement nuisible, mais rend les plus grand services à nos ennemis communs, qui ne manquent pas d’exploiter nos divisions.

En ce qui vous concerne, et quelles que soient vos décisions, vous trouverez auprès de moi, non seulement toute la compréhension et l’amitié, mais la place de choix que justifient vos qualités et votre intelligence.

Bien amicalement.
Soleil.

Cependant, certain d’avoir raison, le groupe de Madrid, travaillait, mettait en place ses moyens, préparait pour le début septembre 1961, une école de cadres où, en une quinzaine de jours, pourraient être formés des responsables de zones et, pour la fin de ce même mois, des émissions radio en France métropolitaine. Le colonel Argoud mettait la dernière main à sa brochure, « le problème Algérien solution Française », qui paraissait fin août 1961, à cent mille exemplaires. Le secrétariat central travaillait sans arrêt. Le décryptage des messages arrivant tous les jours, entraînait un important travail pour tous, chaque réseau employant un code différent. Pour éviter l’infiltration d’agents gaullistes, un service de criblage était en cours d’installation.

Toutes ces activités étaient dispersées dans plusieurs appartements, loués sous des noms variés, dans un même quartier, près du stade ultra moderne, Santiago Bernabea. Elles devaient se plier à l’horaire espagnol. Sauf le colonel Argoud, qui commençait sa journée à 8 heures par de longues promenades et réduisait son temps de sommeil à 4 ou 5 heures, l’ensemble de l’équipe démarrait vers midi-une heure, partait jusqu’à 3 heures au stade et à la piscine, déjeunait de 15 à 16 heures. La journée de travail commençait vers 16 heures, pour se poursuivre jusqu’à 4 heures, le lendemain matin, coupée vers 11 heures par le dîner.

Le secrétariat et le service des papiers étaient installés dans deux pièces, dans l’appartement qu’occupait Lagaillarde, où des chambres de passage servaient à l’hébergement des visiteurs de France et d’Algérie. Un passage incessant, avec l’horaire particulier, entraînait un certain pittoresque. Tel journaliste, arrivé depuis quelques jours, trouvait en rentrant, à 4 heures du matin, après une séance de travail, sa chambre occupée par un colonel en activité, venu pour quelques heures, devant repartir le lendemain, après avoir vu le colonel Argoud. Il utilisait une voiture de liaison qui partait pour Saint-Sébastien, avec une rechange de papiers, pour une équipe du Sud-Ouest, refoulée à la frontière franco-espagnole, par les carabiniers. Tel agent de liaison, arrivant de Blida vers 1 heure du matin, tombait sur une réunion de coordination rassemblant 20 personnes, dont les trois-quarts repartaient, sur la France et le Sud-Est, vers 5 heures du matin, pour passer la frontière à l’heure propice.

Cette agitation créait une atmosphère romantique, sans doute séduisante, mais désordonnée, que les dirigeants s’attachaient à faire disparaître. Au début de septembre, un certain ordre commençait d’apparaître.

C’est dans ce contexte que se situe l’arrestation, le 7 septembre 1961, à Alger, de Maurice Gingembre. Quelques heures auparavant, une messagère du colonel Argoud lui avait apporté les dernières précisions nécessaires, pour l’entrevue qu’il devait avoir avec le général Salan. Agent de liaison du groupe de Madrid, entre celui-ci, Paris et Alger, il portait également une note de Lagaillarde, des rapports de situation et un important courrier remis par le capitaine Sergent, une heure avant son départ pour Alger. Son apolitisme notoire et ses responsabilités professionnelles constituaient, pour sa mission, la meilleure des couvertures. Il ne pouvait se douter que son nom et ses attributions figuraient en clair dans un rapport du colonel Godard, saisi le 31 août chez le capitaine d’A.F.A.T. Lucchetti, boîte aux lettres du général Salan en Alger...

C’est là que commence cette affaire politico-judiciaire, que l’on appelle le « procès Vanuxem ».


 

LA THÈSE DE L’ACCUSATION :

Le Réquisitoire définitif du Procureur Général près la cour de Sûreté de l’État

« Créé au début de l’année 1961, à Madrid, le groupement de fait dit « Organisation de l’Armée Secrète », s’est rapidement développé sur l’ensemble du territoire Algérien, sous la direction de l’ex-général Salan, après l’échec de l’insurrection militaire d’avril 1961.

Réfugiés en Espagne, l’ancien député Pierre Lagaillarde et l’ex-Colonel Argoud, se sont, de leur côté, donné pour tâche de regrouper les éléments favorables à la cause défendue par l’O.A.S., et d’en orienter les activités.

Le but commun des conjurés appartenant aux deux branches de l’organisation, était de détruire le gouvernement légal et de prendre le pouvoir à la faveur d’une action révolutionnaire.

Au cours des mois qui ont suivi la s’édition, leurs efforts ont tendu à donner à l’O.A.S., une structure interne, dont la mise en place s’est, dès l’abord, heurté à de graves difficultés, résultant des divergences qui se manifestaient entre les principaux dirigeants.

En Alger, Salan, qui entendait instaurer l’unité de direction, avait conçu la création d’un Etat-Major O.A.S., ayant autorité sur l’Algérie et le Sahara. Cet Etat-Major groupait, sous son commandement, l’ex-Général Gardy, l’ex-Colonel Godard, le Docteur Perez, Chef d’une section de renseignements et Jean-Jacques Susini, chargé de l’action psychologique et de la propagande. Adjoint de Salan, l’ex-Général Jouhaud avait, en outre, reçu mission d’organiser et de diriger l’O.A.S. en Oranie.

Les conceptions que Lagaillarde et Argoud désiraient faire prévaloir, étaient différentes ; ils voulaient, en effet, subordonner l’activité du mouvement aux décisions d’un comité directeur siégeant à Madrid, sous la présidence de Salan, alors que ce dernier, qui se révélait hostile à la création d’un tel organisme, et ne souhaitait pas s’expatrier, n’admettait pas, cependant, d’autre autorité que la sienne.

Les deux fractions étaient en relations avec les membres de l’organisation, demeurés ou revenus en Métropole, et en particulier avec l’ex-Capitaine Sergent qui, après avoir joué un rôle important, aux côtés de Godard, dans la préparation du « Putsch », avait regagné Paris où il s’efforçait de coordonner l’action des réseaux en voie de formation et d’instaurer un système de liaisons efficaces entre Alger, Paris et Madrid. Sergent avait entrepris de constituer un Etat-Major destiné à devenir, sous la haute autorité de Salan, l’unique organe de commandement et d’action, groupant sous sa loi l’ensemble des éléments répartis sur le territoire Métropolitain et susceptible de rallier à l’O.A.S. des personnalités particulièrement influentes à l’échelon National.

Dans les premiers jours de septembre 1961, des perquisitions ont été opérées dans les milieux activistes de la région d’Alger. Dans le cadre de ces opérations, les policiers se sont présentés, le 6 septembre, au domicile de la demoiselle Lucchetti Noëlle, ancienne secrétaire de Salan, dans son appartement, sis 97, boulevard Pitolet à Alger-Saint-Eugène ; ils ont découvert de nombreux documents se rapportant à l’Organisation de l’Armée Secrète, en Métropole et en Algérie et définissant les buts du mouvement et les moyens d’action envisagés.

L’un des messages saisis était une lettre adressée par l’ex-Colonel Godard (alias Claude) à l’ex-Général Gardy (alias Guy). Il y était question, en particulier, de l’arrivée imminente d’un nommé Maurice Gingembre (alias Tacite), directeur de la Société du « Djebel Onk », qui avait déjà assuré, le 30 août 1961, une liaison entre Sergent et Godard et qui devait revenir à Alger le 7 septembre, afin d’y rencontrer le chef de l’O.A.S.

Les services de Police ont pris des dispositions pour intercepter ce messager et, le 7 septembre à 22 heures, Gingembre qui avait pris place à Orly, à bord de l’avion régulier d’Air-France, a été appréhendé à son arrivée à l’aéroport de Maison-Blanche. Il était porteur de documents, émanant des dirigeants O.A.S. de Paris et Madrid.

Gingembre a dû reconnaître son appartenance à l’O.A.S. Il résulte de ses déclarations, qu’il a fait, en décembre 1960, à Paris, la connaissance du Colonel Gardes, qui l’a présenté à Argoud, avec lequel il a noué des relations amicales.

Le 14 avril 1961, Gingembre est arrivé en Alger, où il se rendait fréquemment pour ses affaires. Il s’y trouvait encore lors du déclenchement de l’insurrection. Désireux de regagner Paris au plus tôt, il s’est mis en rapport avec Gardes, dont il avait appris la présence à la Délégation Générale et il a sollicité l’autorisation de rentrer en Métropole, à bord de l’avion privé de la Société du Djebel Onk.

Il n’a pu obtenir aussitôt satisfaction, et, à la requête de Gardes, il a collaboré pendant quelques jours à la remise en ordre des services administratifs de la Délégation Générale.

Après l’échec du « Putsch », il a regagné Paris.

Au début de juin 1961, Argoud, qui séjournait clandestinement à Paris, sous la fausse identité de Vichaud, a pris contact avec lui. Il l’a hébergé quelque temps à son domicile personnel, à Seine-Port (Seine-et-Marne).

Dans les premiers jours de juillet, Gingembre a revu l’ex-Colonel, qui lui a fait part de sa décision de gagner Madrid afin d’y reprendre la lutte. Il a été convenu que Gingembre prendrait soin de la famille de l’Officier et qu’il rencontrerait ce dernier à l’occasion de ses voyages d’affaires en Espagne.

S’étant rendu à Madrid le 5 août, Gingembre a revu Argoud, qui lui a présenté Pierre Lagaillarde. Deux jours plus tard, les deux hommes lui demandaient de prendre en main l’organisation financière de l’O.A.S. en Métropole et d’assurer, à l’échelon supérieur, la liaison entre les groupes de Madrid, Paris et Alger, en vue de coordonner l’action de l’organisation.

Gingembre a accepté cette double mission. De retour à Paris, il a, le 10 août, rencontré l’ex-Capitaine Sergent, auquel Argoud avait annoncé sa visite. Il l’a revu à plusieurs reprises, au cours des jours suivants. Le 17 août, Sergent l’a mis en rapport avec le Colonel Le Barbier de Blignières, chef du groupe d’Etudes Tactiques à l’Etat-Major de l’Armée, connu dans l’organisation sous le pseudonyme de « Balance ».

Dès le lendemain, l’industriel repartait en Espagne, emportant des lettres de Sergent, destinées à Argoud, ainsi qu’un rapport politique de « Balance ». Au cours de ce voyage, il a eu des entretiens avec Argoud, Lagaillarde et l’ex-Colonel Lacheroy. Il a également vu, à Madrid, le Docteur Lefèvre, chef d’un groupe clandestin opérant dans le Sud-Ouest de la France.
Etant rentré à Paris le 21 août, il a revu Sergent à deux reprises ; peu après, ce dernier l’a prié de prendre contact avec l’ex-Colonel Godard, à l’occasion d’un voyage d’affaires qu’il devait accomplir en Algérie et il lui a confié plusieurs messages, destinés à Godard et au chef de l’O.A.S.

Arrivé en Alger, le 29 août, après un bref séjour au Djebel Onk, Gingembre est entré en rapport, le 30 août, avec un agent de liaison, Charles Rodenas (dit Roro), que Sergent avait averti de son passage.

Rodenas l’a conduit auprès de Godard. Les deux hommes ont eu une longue conversation, portant sur les positions politiques respectives des groupes d’Alger, Paris et Madrid, et mettant en évidence les divergences de conceptions existant entre eux. Gingembre devait résumer les points essentiels de cet entretien, dans un rapport daté du 3 septembre 1961, et intitulé « Coordination III », qu’il a adressé à Argoud dès son retour en Métropole, mais dont il détenait un exemplaire lorsqu’il a été appréhendé.

De son côté, Godard a fait allusion à la visite de Gingembre, dans le message adressé le 3 septembre à l’ex-Général Gardy, document saisi au cours de la perquisition opérée dans l’appartement de la demoiselle Lucchetti.

Pendant son séjour en Alger, Gingembre a encore rencontré Jean-Jacques Susini, avec lequel il n’a eu, affirme-t-il, qu’une conversation d’ordre général.

Il a regagné Paris le 1er septembre et a rendu compte des résultats de ses démarches à Sergent et au Colonel de Blignières. Il a été décidé qu’il demanderait audience à Salan, à l’occasion de son prochain voyage en Algérie.
Le 6 septembre, il a reçu la visite d’une messagère d’Argoud, qui lui apportait une lettre destinée à Godard. Le lendemain, Sergent et le Colonel de Blignières lui ont fait parvenir du courrier qu’il devait également emporter en Alger et, en particulier, une lettre manuscrite de Blignières à Salan.

Le soir du 7 septembre à 20 heures, Gingembre prenait place dans la « Caravelle » d’Air-France. Il était appréhendé à son arrivée à Maison-Banche et trouvé porteur des documents de l’O.A.S. qu’il avait répartis parmi ses papiers personnels.
*
Gingembre reconnaît que, dans le cadre de sa mission financière, il avait prévu l’établissement d’un budget mensuel de 110.000 NF, soit 50.000 NF pour la création d’un journal clandestin, 30.000 NF pour la « structuration » de l’Armée et 30.000 NF pour les activités diverses et les liaisons. Toutefois, il n’avait pas encore entrepris la réalisation de ce projet, la période des vacances ne lui ayant pas permis de prendre les contacts nécessaires dans les milieux financiers. Il s’était borné à remettre à Sergent, sur ses fonds personnels, une somme de 11.000 NF, dont 5.000 NF étaient destinés à l’Officier et le surplus, à l’impression de brochures et de tracts.
*
A la suite des révélations de Gingembre, le Colonel Le Barbier de Blignières a été interpellé le 9 septembre 1961. Interrogé au cours des jours suivants par un fonctionnaire de la Sûreté Nationale, il a relaté ses activités d’une façon relativement précise, ne contestant pas ses relations avec les dirigeants du mouvement clandestin, et reconnaissant avoir joué, auprès d’eux, le rôle de conseiller.

Il s’est efforcé, par la suite, de réduire la portée de ses premières déclarations et de justifier de son attitude et de ses démarches, par son souci constant de protéger l’armée des tentatives d’infiltration de l’O.A.S.
Après l’échec de la sédition, déclare-t-il, de nombreux officiers lui ont confié leur désarroi et lui ont demandé conseil. Il a reçu, notamment, en juin 1961, la visite d’Argoud dont il a, quelque temps plus tard, appris le départ en Espagne.

Sergent, qui avait servi sous ses ordres en Algérie, est également venu le voir et il n’a pas tardé à lui révéler qu’il militait au sein de l’O.A.S.

Lors de ses premières auditions, le Colonel de Blignières avait déclaré avoir appris, par un messager anonyme, à la fin de juin 1961, que l’Etat-Major clandestin de Salan, souhaitait connaître son opinion sur la situation politique et les relations des milieux militaires. Il a, par la suite, précisé avoir seulement reçu une lettre de Godard, qu’il avait connu en Indochine. Son camarade lui demandait, à titre strictement personnel, son avis sur les problèmes d’actualité et des renseignements sur le sort des familles des Officiers frappés de sanctions. Il a répondu à ce message ; quelques jours plus tard, Sergent l’avisait que l’O.A.S. lui avait attribué le pseudonyme de « Balance ».

L’inculpé affirme cependant n’avoir jamais appartenu à l’organisation et avoir apposé des fins de non-recevoir aux démarches de plusieurs groupements qui s’y disaient rattachés. Cette attitude lui a valu de recevoir une lettre de menaces portant le sigle de l’O.A.S.

Le Colonel de Blignières admet que Sergent lui a, le 17 août, présenté Maurice Gingembre, avec lequel il a discuté des concepts politiques d’Argoud et de Lagaillarde, et des thèses divergentes des dirigeants O.A.S. d’Alger. Gingembre lui a également exposé ses projets, axés essentiellement sur les problèmes financiers et la propagande.

Dans le même temps, lui parvenait une lettre d’Argoud, désireux de recevoir sa visite à Madrid. Par l’intermédiaire de Sergent et sous le pseudonyme de « Balance », il lui a adressé sa réponse ; il y déclinait, dit-il, l’invitation d’Argoud et lui décrivait succinctement sa position sur le problème Algérien et sur le rôle d’arbitre qui devait, à son avis, jouer l’Armée, au-delà de toute compromission politique.

Il a estimé opportun de faire connaître ce point de vue aux chefs de l’O.A.S. d’Alger. Aussi l’a-t-il repris et développé dans une lettre adressée à Godard par le canal de Sergent.

Ce dernier est revenu le soir, au début de septembre, en compagnie de Gingembre, qui lui a relaté son entretien avec Godard et lui a montré le rapport « Coordination », qu’il destinait à Argoud. Il a été question, au cours de l’entretien, d’un projet de création d’un journal clandestin et de propagande sur un plan général. Gingembre a annoncé au Colonel qu’il allait recevoir d’Alger, à compter du mois de septembre 1961, une aide mensuelle de 50.000 NF.

Selon les premières déclarations du Colonel de Blignières, cet argent était destiné aux personnes vivant dans la clandestinité et aux besoins de l’information et de la propagande. Il a, en revanche, soutenu devant le Juge d’Instruction que, lorsque Gingembre l’avait avisé de cet emploi de fonds, il avait pensé qu’il pourrait en user pour combler un déficit risquant de se produire en octobre, dans son budget d’aide aux familles des personnes sanctionnées, éventualité dont il avait fait état dans le rapport adressé par ses soins à Godard.

L’inculpé reconnaît, enfin, avoir remis à Gingembre, qui était sur le point de retourner en Alger afin d’y rencontrer Salan, une lettre d’introduction destinée au chef de l’O.A.S. Il espérait encore, dit-il, pouvoir lutter contre le principe de la pénétration de l’armée par les réseaux clandestins et c’est pourquoi il a rédigé ce message, intitulé « de Balance à Soleil » (pseudonyme de Salan), qui a été saisi lors de l’arrestation de Gingembre.
*
Lorsqu’il a été interrogé en Alger, ce dernier a déclaré que le Colonel de Blignières occupait, au sein de l’équipe Métropolitaine de l’O.A.S., les fonctions de chef d’Etat-Major, chargé de coordonner les activités du groupe.

En revanche, devant le Magistrat Instructeur, il a soutenu que l’officier n’était, en réalité, qu’un conseiller très écouté, jouissant d’une certaine influence sur Sergent, et particulièrement informé de l’état d’esprit de l’armée. C’est pour cette raison qu’il avait, sur le conseil d’Argoud, pris contact avec lui, mais il ignorait tout de la position personnelle du Colonel par rapport à l’O.A.S.

Le Colonel de Blignières, qui admet avoir été tenu au courant des projets des groupes clandestins d’Alger et de Madrid et des moyens envisagés par les uns et les autres, pour faire échec à la politique gouvernementale, se défend d’avoir joué au sein de l’équipe métropolitaine, le rôle de chef d’Etat-Major que lui a prêté Gingembre.

Il se bornait, dit-il, à recueillir les opinions et à donner les avis qui lui étaient demandés, s’efforçant de réaliser la synthèse des informations dont il disposait et soucieux avant tout de préserver l’unité morale de l’armée.

Dans le dernier état de ses déclarations, il se refuse à reconnaître avoir été même un simple conseiller auprès des dirigeants de l’O.A.S. et il entend faire admettre que seules, les circonstances l’ont conduit à étendre aux groupes clandestins d’Alger et de Madrid, les conseils de modération qu’il prodiguait à tous pour empêcher des actions irréfléchies.
*
Les explications de l’inculpé sont infirmées par des charges précises, permettant de définir le rôle qui lui était imparti dans l’organisation subversive et démontrant que ses interventions dépassaient largement le stade des conseils objectifs et qu’il ne se bornait pas à donner à Salan son avis sur l’évolution de la situation en Métropole.

Parmi les documents saisis, figurent, en effet, des messages qui apportent la preuve que le Colonel de Blignières jouissait d’une position prépondérante, au sein de l’Etat-Major Parisien de l’O.A.S.

Une lettre de « Sierra » (Sergent) à « Claude » (Godard), datée du 7 septembre 1961, fait ressortir que « Balance » (Blignières) fait partie d’une « équipe » particulièrement soucieuse de l’efficacité de ses membres.

Dans le message qu’il adresse à l’ex-Général Gardy, le 3 septembre 1961, après son entretien avec Gingembre, Godard relate qu’il a reçu « une analyse politique » de « Balance » (Blignières) fait partie d’une « équipe » jectif n° 1 (gr Z) et prétend s’en occuper sérieusement ».

Or, le rapport de « coordination III », établi par Gingembre à l’issue de sa rencontre avec Godard, fait apparaître que le principal objectif de son interlocuteur était d’attenter à la vie du chef de l’Etat.
Enfin, la lettre rédigée par l’inculpé lui-même, à l’intention du chef de l’O.A.S. et saisie entre les mains de Gingembre, démontre, à l’évidence, son appartenance à l’organisation.

 

Il importe d’en retenir, en particulier, les phrases suivantes :

« DE BALANCE A SOLEIL »

Le porteur de cette lettre vient de vivre une quinzaine de jours bien remplie au milieu de nous. Mieux qu’un autre, il est en mesure de vous exposer objectivement nos points de vue, nos préoccupations et nos difficultés.

Depuis deux mois nos affaires commencent à se développer d’une manière assez satisfaisante. Depuis quelques semaines, l’ambiance générale s’est considérablement améliorée, facilitant les prises de contact de toute nature...

Nous insistons pour qu’il en soit tenu compte dans l’optique d’une efficacité immédiate qui réclame, de notre part, une certaine liberté d’action...

Nous nous permettons d’insister aussi sur l’unité d’action à réaliser — sur place, il y a de nombreuses tendances qui prétendent relever directement, soit de votre autorité, soit de quelqu’autre de vos délégués. Cette unité d’action ne doit pas être obtenue par des désignations théoriques. Il ne peut être question de détruire ce qui existe. Il faut tenir compte de ce qui a été fait...

Ce mot n’avait que le but d’introduire auprès de vous, le porte-parole d’une équipe que vous connaissez de longue date.
Respectueusement et en toute fidélité ».

La lecture de ce document fait apparaître sans ambiguité que le Colonel de Blignières ne parle pas en son nom personnel, mais en qualité de membre d’un groupe auquel il s’identifie dans toutes ses activités. Son style n’est pas celui d’un conseiller désintéressé, mais bien celui d’un chef qui présente avec fermeté des observations dont il connaît tout le poids.

Les termes « équipe que vous connaissez de longue date » ne peuvent, ainsi que le soutient l’inculpé, s’appliquer à un groupe d’officiers ayant joué un rôle politique en mai 1958. Ni Sergent, ni Gingembre ne faisaient partie d’une telle équipe et il n’est pas dénié que Gingembre se rendait en Alger, pour faire valoir les points de vue des membres de l’O.A.S. de Madrid et Paris dont il était, en effet, le porte-parole.

Il serait inconcevable que Sergent, Gingembre, Argoud et Godard aient pu tenir le Colonel de Blignières informé de leurs activités subversives et de leurs projets, si l’officier n’avait pas été lui-même, engagé dans l’action clandestine.

Il convient de noter que le nommé Bernard Genet, membre de l’organisation clandestine envoyé à Paris par Godard, reconnaît que ce dernier lui avait ordonné de se mettre en rapport avec le Colonel de Blignières, « Chef d’Etat-Major de l’O.A.S. Métro ». Il s’est présenté, au début de septembre 1961, au bureau de l’officier. Ce dernier, qui semblait ne pas avoir été averti de s’a visite, l’a éconduit.

Il n’est pas inutile, enfin, de rappeler que Godard devait envoyer à « Balance » une somme de 50.000 NF par mois destinée, selon les premières déclarations de l’inculpé, à la propagande et à la subsistance des personnes vivant dans la clandestinité. Cet aveu a été confirmé par Gingembre, qui a précisé qu’en adressant les fonds au Colonel de Blignières, Godard tenait à marquer qu’il ne voulait pas les envoyer au responsable financier désigné par Lagaillarde et Argoud, mais non encore admis par les dirigeants d’Alger.
*
Le Colonel de Blignières apparaît, dès lors, non pas comme un agent modérateur appelé, à la suite des circonstances, à intervenir auprès des chefs de l’organisation subversive, afin d’obtenir qu’ils renoncent au « noyautage » de l’armée, mais comme l’un des éléments essentiels du groupe métropolitain inféodé à l’O.A.S., chargé de coordonner l’action du mouvement à Paris, tenu informé des décisions importantes d’Alger, véritable chef d’Etat-Major dont les avis et les suggestions ne pouvaient être négligés.
*
Lorsqu’il a été entendu en Alger, Gingembre a déclaré qu’au cours de sa conversation avec Godard, le 30 août 1961, son interlocuteur lui avait révélé que le Général Vanuxem avait été désigné par Salan, sous le pseudonyme de « Verdun », pour diriger la fraction métropolitaine de l’O.A.S. Il a ajouté que cet officier général appartenait à un groupe baptisé « Nébuleuse Etoilée », réunissant des personnalités dont certaines étaient appelées à jouer un rôle actif dans l’organisation, les autres n’étant que des sympathisants, plus ou moins engagés.

De son côté, le Colonel de Blignières a indiqué, au fonctionnaire de la Sûreté Nationale qui l’interrogeait, qu’il avait appris, par la filière dont il usait habituellement pour correspondre avec les chefs de l’O.A.S., que le Général Vanuxem était connu dans l’organisation sous le pseudonyme de « Verdun ». Il a précisé que Gingembre, à son retour d’Alger, lui avait fait part de la désignation du Général Vanuxem, sous ce pseudonyme, pour « coiffer » l’organisation en Métropole.

Cependant, a-t-il souligné, cette décision ne lui avait pas été officiellement notifiée, et il était hostile à son principe. Il craignait, en effet, de voir « s’officialiser » la clandestinité. Aussi s’était-il abstenu de prendre contact avec le Général.

Tant devant la police qu’en présence du Juge d’Instruction, ce dernier a énergiquement protesté contre les accusations dont il faisait l’objet.

Le Général Vanuxem nie, en effet, avoir jamais été sollicité pour contrôler l’action de l’O.A.S. en Métropole et il soutient qu’aucune décision de Salan le concernant, n’a été portée à sa connaissance. Ses opinions favorables au maintien de l’Algérie dans la communauté Française, étant notoires, il fait valoir que Salan a pu lui attribuer, à son insu, le pseudonyme de « Verdun » et, sans même le consulter, le désigner pour diriger l’action subversive en Métropole.

Il allègue qu’ayant exercé, jusqu’au 4 juin 1961, les fonctions d’Adjoint au Général Commandant en chef les Forces Françaises en Allemagne, et ayant regagné la France le 22 juin, après sa mise en disponibilité, il n’a jusqu’au moment de son arrestation, résidé que quelques jours à Paris, ayant passé ses vacances, avec sa famille, à Valence, puis à Saint-Tropez.

Compte tenu de cet emploi du temps, il n’aurait pu, dit-il, prendre utilement contact avec les membres de l’O.A.S. Enfin, n’ayant pas vécu en Métropole depuis près de 20 ans, et ne possédant pas de relations dans les milieux politiques, il n’aurait été en mesure d’exercer aucune influence en faveur de l’organisation.

Il admet toutefois qu’il connaissait le Colonel de Blignières et Sergent, qui avaient servi sous ses ordres, mais il ne les avait pas rencontrés depuis plusieurs années. Il n’avait jamais vu Maurice Gingembre.
*
Lorsqu’ils ont été entendus par le Juge d’Instruction, Gingembre et le Colonel de Blignières ont rétracté leurs précédentes déclarations.
Gingembre a soutenu qu’il avait été interrogé en Alger, après avoir été soumis à un traitement qui l’avait amené « au bord de la dépression ». En outre, ses propos avaient été déformés lors de la rédaction des procès-verbaux. En réalité, c’était par les enquêteurs eux-mêmes qu’il avait entendu prononcer pour la première fois, le nom de Vanuxem et le pseudonyme de « Verdun ».

En effet, au cours de son entretien avec Godard, ce dernier s’était borné à lui confier qu’un Général avait été désigné par Salan pour diriger la branche métropolitaine de l’O.A.S. Il était dès lors impossible qu’il eût pu lui-même, parler à Blignières de « Verdun » ou de Vanuxem.

Tout en admettant que les fonctionnaires de la Sûreté Nationale s’étaient montré parfaitement corrects à son égard en l’interrogeant, le colonel de Blignières a, de son côté, allégué que les procès-verbaux ne reflétaient pas exactement ses déclarations.

Il s’était, en réalité, montré beaucoup moins formel.


Groupe

La Santé – Décembre 1961

En haut :
Cdt Jabley – Général Michel Gouraud – Maurice Gingembre

En bas :
Commandant Florent – Paul Lacube - Padiguere

 


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